Jésus accomplit-il la loi et les prophètes ? Il accomplit bien sûr la loi, au sens où il s’inscrit toujours dans une fidélité profonde à l’Ancienne Alliance, mais avant tout en se faisant le messager et le médiateur de la nouvelle. Il l’accomplit donc comme nul autre, car il vient réaliser en plénitude et donner leur sens véritable aux figures de l’Ancien Testament : tout ce qui était ébauché, incomplet et posé dans l’histoire de l’Israël ancien comme une pierre d’attente trouve en lui son achèvement.
Les Psaumes attribués à David, ces poésies exprimant dans leur sublime diversité toute la pénétrante et douloureuse attente du peuple élu, font partie de ces textes qui semblent désigner par-delà leurs lignes et leurs images une figure qui les transcende et leur donne un sens nouveau : tantôt ils parlent de lui, tantôt ils l’appellent, tantôt ils lui laissent leur voix… Il s’agit du Christ, le Mashiah, Messie-Sauveur tant attendu.
Jésus-Christ, homme de Nazareth, prêcheur, thaumaturge et rabbi, né sous Hérode le Grand et crucifié sous Ponce Pilate, correspond-il à ces attentes ? Ses contemporains ont-ils pu reconnaître en lui le héros caché des complaintes du Psalmiste ? Il semble l’affirmer lui-même lorsqu’il affirme aux pèlerins en route vers Emmaüs : « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes » (Lc 24, 44).
Le psaume 2, au centre de la prière de l’Église dans la nuit de Noël, adresse au Messie ces mots venus de la bouche du Père : « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré », les mêmes qu’entendirent les assistants lors du baptême ou de la transfiguration du Christ (voir Mt 3, 17 et 17, 5). Tandis que le psaume 8 lui attribue le vocable paradoxal de « Fils de l’homme », présent déjà dans la prophétie de Daniel (Dn 7, 14) et que Jésus reprendra abondamment à son sujet. Ses prérogatives seront celles d’un roi et d’un juge, comme le proclame l’« oracle du Seigneur à mon seigneur » du psaume 109 : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône. […] Le Seigneur l’a juré dans un serment irrévocable : “Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisédek.” À ta droite se tient le Seigneur. Il juge les nations. »
Le psaume 22 – « le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer, sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer… » – sera quant à lui repris presque explicitement à son compte par le Christ lorsqu’il se présente comme le Bon Pasteur (Jn 10, 11) ou comme celui qui part à la recherche de la brebis perdue (Mt 18, 12).
Les troublantes annonces de la Passion
Plus troublantes encore sont dans les psaumes les annonces du rejet, de la trahison et de la Passion du Christ. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » prophétisait le psaume 117 (Ac 4, 10). « Celui qui mangeait mon pain a exercé sur moi la trahison » annonce le psaume 40 au sujet de Judas Iscariote.
Le psaume 21 est l’un des plus extraordinaires. Il commence par les paroles paradoxales – parfois si mal interprétées – que proféra le Christ en croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il décrit avec un luxe de détails étonnant les persécutions du Juste : « Et moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple. Tous ceux qui me voient me bafouent, ils ricanent et hochent la tête : “Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre ! Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami !” » (voir Mt 27, 35). On y trouve même – malgré une modification du sens dans la tradition juive postérieure – une description précise de la crucifixion : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os » et encore « Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement » (voir Jn 19, 36 et 19, 24). Et pourtant, ce grand psaume ne s’achève pas dans le désespoir mais sur une note d’espérance : « Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte. […] La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, chaque famille de nations se prosternera devant lui. »
Le psaume 69 présente également une stupéfiante prophétie de la Passion : « À mon pain, ils ont mêlé du fiel ; quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre » (voir Jn 19, 29). Dans le même registre, on met souvent le psaume 87 sur les lèvres du Christ livré à l’angoisse de la fosse, dans la nuit de son inique procès : « Tu m’as mis au plus profond de la fosse, en des lieux engloutis, ténébreux. »
Mais les Psaumes ne s’arrêtent pas à la dimension dramatique de la Passion, car leur espérance s’ouvre sur la Résurrection. « Mais Dieu rachètera ma vie aux griffes de la mort : c’est lui qui me prendra » annonce le psaume 48, tandis que le psaume 15 chantait : « Tu n’abandonneras pas mon âme à la mort, tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption [parfois traduit par “décomposition”] » (voir Ac 2, 24 et 13, 35).
Cette relecture des Psaumes à la lumière de la mission du Christ a été pratiquée par Jésus lui-même, et dès les débuts de l’Église par les Apôtres et les Pères. Nous en donnons ici quelques exemples marquants – mais non exhaustifs –, afin de montrer comment des textes antiques, emplis de poésie, peuvent constituer à trente siècles de distance des preuves de la véracité du christianisme.
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