Les trois évangiles synoptiques ont repris la phrase de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Elle est devenue, par la suite, une des plus célèbres et des plus commentées, sans que l’on parvienne vraiment à une interprétation décisive. La modernité a voulu y voir par avance une justification du concept de laïcité, ce qui peut se comprendre jusqu’à un certain point. Ce qui est sûr, c’est qu’il convient de distinguer entre l’autorité spirituelle et l’autorité temporelle et que les tentatives de fusion, sous forme de césaro-papisme, ne sont pas à encourager. Notons que cette distinction est aussi tout à l’avantage de l’autorité spirituelle, dès lors que son imbrication dans la politique représente un risque sérieux de contamination. L’histoire même de la papauté n’a pu qu’aboutir à la fin des États pontificaux, pour restituer au successeur de Pierre sa seule autorité légitime. Est-ce à dire que l’autonomie du politique signifie totale étrangeté par rapport au spirituel ? Non, sans aucun doute !
Une exégèse plus subtile de la formule évangélique conduit à mettre en tension l’image de César telle qu’elle est imprimée sur une pièce d’argent et l’image de Dieu imprimée au cœur de toute personne. En d’autres termes, impossible d’oublier ou de mettre à part notre appartenance divine, même s’il y a nécessité d’une médiation spécifique pour répondre aux exigences du bien commun. Pascal a établi une hiérarchie des ordres, dominée par l’ordre de la charité. On voit mal comment la charité n’interviendrait pas dans l’ordre des corps, à moins de manquer de toute efficience sur les vies concrètes.
En philosophe politique, Pierre Boutang a proposé une théorie de la différence chrétienne qui affecterait l’exercice du pouvoir. Une différence qui n’abolit en rien la spécificité du politique avec ses exigences rigoureuses. L’exemple d’un Saint Louis correspond d’évidence à une telle différence. Est-il transposable aujourd’hui dans un État laïc et une société déchristianisée ? Oui, dans la mesure où un responsable aux convictions chrétiennes ne saurait faire abstraction de son être profond sans reniement. Malheureusement, l’évolution de la situation depuis la Seconde Guerre mondiale a le plus souvent abouti à un arasement des principes chez les partis européens se réclamant de la démocratie chrétienne.
Le combat des chrétiens
Ce qui apparaît aujourd’hui, ce n’est pas seulement une légitime séparation des ordres, mais un déni de l’ordre spirituel. L’État laïc légifère dans l’ordre sociétal en s’alignant sur des idéologies non seulement étrangères mais ennemies du christianisme. Il n’y a pas séparation mais connivence avec ces idéologies. On comprend donc le combat actuel des chrétiens, tel qu’en témoigne ce numéro de notre journal, qui se situe dans le tissu social, sans parvenir à toucher le sommet. Mais il ne saurait être question d’un renoncement définitif. Les chrétiens peuvent et doivent viser à assumer leur différence jusqu’au lieu des décisions ultimes.