Il est une étrange propension chez certains chrétiens qui les conduit à un dénigrement de leur Église et de son histoire. Tout notre passé serait marqué par la violence, l’assujettissement des peuples. Aujourd’hui, des essais entiers paraissent pour faire porter à l’Église catholique la responsabilité de tous les maux du temps. Il convient donc de saluer les remises au point salutaires qui permettent une juste appréhension des événements, à l’encontre de ce wokisme qui n’a pas manqué d’atteindre toute une intelligentsia et des publications catholiques. Parmi ces mises au point, l’ouvrage récemment traduit de l’historien argentin Marcelo Gullo Omodeo a droit à une mention toute spéciale.
Un travestissement des faits
Dans ce livre, qui connaît un immense succès en Espagne, il s’attaque à une page d’histoire particulièrement importante, puisqu’il s’agit de la conquête espagnole des Amériques, recouverte de ce qu’on a appelé une légende noire terriblement accusatrice. On a été jusqu’à parler d’un génocide exterminateur des populations indiennes. Et puisque l’Église catholique est liée intimement à l’entreprise de la couronne d’Espagne, elle est chargée d’une bonne part de responsabilité dans une telle tragédie. Il s’agit là à proprement parler d’un travestissement radical des faits, largement inspiré par les puissances anglo-saxonnes soucieuses de mettre l’Espagne au banc des criminels.
Or la réalité est toute autre. Loin d’avoir conquis le plus violemment le Nouveau Monde, l’entreprise espagnole l’a libéré d’un véritable enfer : « Un enfer où régnaient les sacrifices humains, le cannibalisme, l’esclavage et la prostitution de masse. » Le degré de cruauté des empires locaux dépasse l’imagination. Pour l’historien, c’est environ 20 000 victimes que les Aztèques emmenaient chaque année jusqu’à la pyramide de Tenochtitlan pour leur arracher le cœur et distribuer leurs extrémités à la noblesse. « Des esclaves cuisinaient alors le “succulent tlacatlaolli”, plat préparé à base de chair humaine et d’une grande quantité de maïs que l’on servait avec une sauce au piment, selon le goût des convives. »
On pardonnera ces détails particulièrement insupportables mais ils sont à la mesure du défi qui s’est imposé à Hernan Cortès et à la poignée de ses hommes (300 soldats) qui ont agi plus en libérateurs qu’en conquérants. D’ailleurs, si le conquistador a réussi si rapidement son entreprise, c’est pour avoir rallié massivement les populations locales, désireuses d’abattre la plus inhumaine des tyrannies.
L’évangélisation des Indiens
On opposera pourtant à ce sombre tableau le témoignage d’un religieux qui continue à être loué comme dénonciateur de la colonisation. Le mythe est si puissant que la cause de béatification de Bartolomé de las Casas a été introduite. Pour ma part, j’ai toujours entendu ses louanges dans les cours d’histoire religieuse. Marcelo Gullo Omodeo, pour le coup, détruit sa légende dorée, en lui opposant notamment l’exemple des religieux qui ont réellement évangélisé les Indiens, ne serait-ce qu’au travers d’une véritable inculturation. Las Casas, dit notre historien « n’a jamais vu les Indiens que de loin et n’a jamais pris la peine d’apprendre une des 300 langues qu’ils parlaient ».
In fine, on pourrait retenir sur l’héritage catholique de l’Amérique latine le propos d’un certain Jorge Mario Bergoglio : « Nous avons été forgés par l’Espagne qui, par-delà les contradictions et les limites de sa conception historique, nous illumine par ses lois des Indes, son ordonnance d’Alfaro [ndlr. juriste ayant protégé les Indiens de certains abus des colons] […] et la conscience missionnaire d’une femme merveilleuse que l’histoire appellera Isabelle la Catholique. » Oui, il convient de contredire une légende noire qui voudrait culpabiliser notre passé catholique.
Ceux qui devraient demander pardon. La légende noire espagnole et l’hégémonie anglo-saxonne, Marcelo Gullo Omodeo,
éd. L’Artilleur, 2024, 493 pages, 23 €.