« Si vous voulez comprendre la géopolitique, et en particulier ce que fait et ce que va faire Donald Trump, regardez la saga des films Star Wars. Ces films expliquent simplement une vérité très profonde : pour être une superpuissance, il faut nécessairement être un empire. C’est-à-dire être une puissance avec un grand rayon d’action qui contrôle très précisément ce qui l’environne. » Cette comparaison, proposée par Jacques Attali sur son compte X (16/02), ne manque pas d’une certaine pertinence, mais ce serait sans doute une erreur de considérer que seuls les États-Unis de Donald Trump manifestent cette tentation impériale, comme on a pu tenter de la comprendre dans ces mêmes colonnes voici une semaine. Cette volonté de « contrôler très précisément » son environnement, dont parle l’ancien sherpa de François Mitterrand se constate bien sûr avec la Russie, au travers de son action sur ses frontières occidentales ou au Caucase ; avec la Turquie, qui pousse ses pions en Arménie ou en zone kurde ; et bien sûr avec la Chine, dont on attend toujours l’« Anschluss » sur Taïwan et l’espace maritime afférent.
Centre de gravité
Les spécialistes le répètent depuis des années : c’est bien en zone Pacifique que risquent de se confronter deux des projets impériaux les plus puissants du moment, portés par Washington et Pékin. Les Américains l’ont d’ailleurs bien fait comprendre aux Européens, invités plus que fermement à prendre en main leur sécurité, pour qu’ils puissent concentrer leurs efforts face à la Chine. « Les États-Unis veulent trouver un modus vivendi avec la Russie pour libérer les capacités américaines [et] pour se concentrer sur la Chine et en Asie orientale, objectif beaucoup plus important selon l’administration américaine et les stratèges », explique ainsi Philip Golub, politologue, professeur de relations internationales, interrogé sur RFI (19/02) au lendemain de la rencontre à Riyad entre l’Américain Marco Rubio et le Russe Sergueï Lavrov. Ce déplacement du centre de gravité géopolitique, et de la menace, semble parfois échapper aux Européens, encore prisonniers de l’antique projection de Mercator qui place le Vieux Continent au centre du planisphère.
Yalta 2.0
Est-ce un nouveau partage du monde qui se dessine ? L’expression « Yalta 2.0 » fait florès, en référence au sommet qui, il y a précisément 80 ans – c’était le 11 février 1945 sur les rives de la mer Noire – avait réuni Roosevelt, Staline et Churchill pour, schématiquement, définir leurs zones d’influence à l’issue des défaites imminentes de l’Allemagne nazie et du Japon impérial. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si une exposition se tient actuellement dans une galerie de cette cité balnéaire, précisément intitulée « Yalta 2.0 », où l’on peut observer une déclinaison historique de la conférence de 1945, avec Poutine à la place de Staline, Trump à la place de Roosevelt, et – signe des temps – Xi Jinping à la place de Churchill. Le parallèle est tentant, même s’il semble hâtif de considérer la Russie comme une superpuissance : certes, elle dispose de l’arme nucléaire, d’un territoire immense et de précieuses ressources, mais sa démographie est exsangue et son économie à bout. Le prix des pommes de terre a ainsi augmenté de 90,5 % en un an, rappelle ainsi Le Grand Continent (16/02).
Cohérences ?
Cela étant, on ne saurait amoindrir son rôle outre-mesure : les premiers qui en sont persuadés sont les Chinois qui assistent avec inquiétude à la reprise du dialogue entre la Russie et les États-Unis. « En coulisses, le “reset” [la réinitialisation] russo-américain nourrit l’anxiété des stratèges rouges, redoutant un rapprochement dans leur dos entre l’adversaire au long cours et un “partenaire” russe essentiel aux ambitions planétaires de Xi Jinping. Aux aguets, la Chine tente de garder la main sur ce duo naissant, de peur qu’il ne lui échappe, mais peine à peser », analyse Sébastien Falletti dans Le Figaro (20/02). Aussi est-il peut-être prématuré de qualifier Donald Trump d’« idiot utile de Poutine », comme l’écrit Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas-More, toujours dans les colonnes du Figaro (20/02). S’il est vrai que les foucades de Trump, Vance ou Musk évoquent parfois celles d’un Docteur Folamour, il y a aussi de la cohérence dans leurs paroles et leurs actions. Et une belle part de risque.