« Impériale. » C’est l’adjectif qui revient le plus souvent pour qualifier la vision du monde que semble porter Donald Trump. Intégration du Canada, achat du Groenland, nouvelle dénomination du golfe du Mexique, renommé golfe d’Amérique à la manière d’un nouveau Mare Nostrum… Des annonces spectaculaires mais aussi des décisions, à commencer par le cessez-le-feu à Gaza, signé juste avant l’investiture du 20 janvier, et la perspective de négociations sur l’Ukraine.
Impuissance européenne
Le 12 février, Donald Trump et Vladimir Poutine ont longuement échangé leurs vues sur ce dossier par téléphone. Et, le 16, le président américain a confirmé qu’il allait rencontrer « très bientôt » le chef du Kremlin, sans doute en Arabie Saoudite. Washington juge « irréaliste » un retour de l’Ukraine à ses frontières d’avant 2014, comprenant la Crimée. Déjà, les émissaires américains et russes discutent des termes d’un accord de paix, au grand dam des Européens, exclus de ces pourparlers. En réaction, Emmanuel Macron a invité les principaux pays européens à un sommet sur la sécurité lundi dernier, à Paris. « Une conjuration des impuissants », juge Vincent Hervouët (Europe 1, 17/02)…
Les Européens veulent voir dans cette inflexion de la politique américaine un lâche abandon. Interviewé dans Ouest-France (14/02), Emmanuel Macron a évoqué le risque d’une « capitulation ». Même son de cloche en Allemagne où le chancelier Olaf Scholz a déclaré le 13 février qu’« il est absolument clair qu’une victoire de la Russie ou un effondrement de l’Ukraine n’apporteront pas la paix, au contraire ». La diplomatie des droits de l’homme tremble face au retour de la realpolitik. « Ce qui est le plus étonnant, c’est qu’encore une fois, les Européens ont l’air surpris », observe un diplomate français, interrogé par Jean Quatremer dans Libération (13/02).
Au-delà des principes, en effet, la diplomatie s’aperçoit qu’elle risque fort de se retrouver nue. « Le coup de fil entre les présidents américain et russe et l’annonce de leurs négociations de paix bilatérales sur l’Ukraine semblent une confirmation que le parapluie sécuritaire des États-Unis n’est décidément plus d’actualité », note encore Jean Quatremer. Une révolution ? Oui, si l’on se contente d’une vision court-termiste, mais en soi, le délaissement du Vieux Continent par l’Oncle Sam peut aussi être considéré comme une nouvelle variation de la politique étrangère des États-Unis, toujours partagée entre isolationnisme et impérialisme. Il est donc peut-être exagéré de parler d’une « bascule historique […] pour la géopolitique mondiale », comme l’a fait le général Jérôme Pellistrandi sur l’antenne de BFMTV (13/02).
Il n’empêche que le séisme est incontestable, d’autant plus que les annonces de la Maison-Blanche risquent fort d’avoir un impact financier très lourd, dans un contexte économique plus que morose. Donald Trump a en effet signifié qu’il attendait que les pays membres de l’OTAN fixent à 5 % la part de leurs dépenses consacrées à la Défense, au risque sinon de ne plus s’impliquer dans l’effort de défense – sauf sans doute dans le domaine nucléaire. Un objectif jugé inatteignable par de nombreux observateurs qui se sont empressés de parler de « mort cérébrale » pour l’OTAN, reprenant l’expression employée jadis par Emmanuel Macron. Une analyse un peu rapide pour le général Bruno Clermont qui estime sur LinkedIn (14/02) que « Trump n’a pas l’intention de lâcher l’Otan. Il a l’intention de faire payer les Européens pour que les États-Unis ne soient plus les seuls garants de la sécurité européenne avec des armées européennes supplétives. C’est une vraie plaidoirie pour un vrai “partage du fardeau”. (…) L’Otan n’est pas morte. Trump veut une nouvelle Otan car sa priorité unique est la Chine. Cela reste une opportunité pour les Européens de se réveiller, de passer à un budget militaire sérieux ».
Face à ces bouleversements, le Saint-Siège s’efforce de faire entendre sa voix pour défendre la paix et défendre les plus vulnérables, à commencer par les migrants américains. Mais pour le moment, tout porte à croire que sa voix porte peu : tous deux catholiques, le vice-président J.D. Vance, et le secrétaire d’État Marco Rubio, semblent résolus à porter sans trembler la politique des États-Unis à l’heure trumpienne, tant au plan intérieur qu’extérieur.
Le discours de Munich
En témoigne le discours de J.D. Vance le 14 février, à Munich, lors de la Conférence sur la sécurité : « Parmi tous les défis urgents auxquels les nations ici représentées font face, je ne crois pas qu’il y en ait de plus pressant que les migrations de masse », a-t-il déclaré. Quelques jours auparavant, il avait sèchement rabroué la Conférence épiscopale américaine. Celle-ci s’était émue de nouvelles dispositions de la politique migratoire de leur pays, notamment la possibilité offerte au service de contrôle migratoire d’entrer dans les écoles et les lieux de culte. « La Conférence des évêques catholiques des États-Unis doit se regarder un peu dans le miroir et se demander, lorsqu’elle reçoit plus de 100 millions de dollars pour aider à réinstaller des immigrés clandestins, si elle se préoccupe réellement de questions humanitaires, ou plutôt de ses résultats financiers. », avait répliqué J.D. Vance.
« Le contenu et le ton de l’échange illustrent la situation compliquée dans laquelle se trouvent aujourd’hui les cadres de l’Église catholique américaine. Beaucoup d’entre eux voient [aussi] en lui un rempart contre ce qu’ils perçoivent comme des dérives de la société, comme la transidentité ou l’avortement dont l’interdiction totale est un de leurs combats », note Sarah Belouezzane dans Le Monde (08/02).
Il n’empêche qu’en qualifiant de « crise majeure […] l’amorce d’un programme d’expulsions massives », le pape François a clairement placé l’Église sur une ligne d’opposition à la ligne de l’administration Trump, en dépit de points d’accords possibles sur la question de l’avortement. La réponse n’a pas tardé : « Que le pape François se concentre sur l’Église catholique et nous laisse nous occuper de nos frontières », a fait savoir Tom Homan, le principal conseiller de Donald Trump pour la politique migratoire. Sur l’Ukraine en revanche, la politique américaine pourrait trouver un appui du côté du Saint-Siège, qui a toujours maintenu une ligne de crête entre l’Ukraine et la Russie.
Pour aller plus loin :
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- L'Ukraine à l'heure des choix
- AMERICA, AMERICA