Si petit et si fragile que soit cet Enfant, posé à même le sol, c’est devant lui que se prosternent les trois rois, venus d’Orient avec une suite nombreuse et bigarrée, image de la Création rendant hommage à son Dieu. Cette adoration des mages, monumentale, est la pièce maîtresse d’« Épiphanies » – au pluriel car il en existe d’autres, qui ont aussi inspiré Augustin Frison-Roche : celle de l’Esprit-Saint, apparu sous la forme d’une colombe venant proclamer la divinité d’un homme que baptisa Jean dans le Jourdain ; celle des Noces de Cana, qui marquent le début de la vie publique du Christ.
Dans sa Lettre aux artistes, publiée le jour de Pâques 1999, Jean-Paul II associait la création artistique à une « épiphanie de la beauté » : l’art est épiphanie car il rend visible une réalité transcendante. C’est dans ce sillon que s’inscrit Augustin Frison-Roche. En témoignent aussi, dans cette exposition, les œuvres qu’il consacre à la Genèse, et celles qui célèbrent le Créateur à travers la beauté de sa Création.
Élevé dans une famille catholique, le peintre reste discret sur sa foi – mais répond sans détour qu’il prie avant de peindre des œuvres importantes, « comme dans toutes les grandes circonstances de la vie ». Il prie pour être à la hauteur de la tâche et des attentes que suscite son art. Mais il prévient dans un sourire, comme pour se prémunir d’une admiration excessive : « Je ne suis pas un moine en civil ! Je compte plus sur la miséricorde de Dieu que sur mes propres capacités ! Mais j’ai reçu ce talent-là et j’ai accepté de le faire fructifier. » Humblement.
Le pinceau et la Croix
Il a approfondi sa foi à la fréquentation des chefs-d’œuvre et peaufiné sa « théologie » en se frottant à l’histoire de l’art. Mais « l’artiste n’a pas la même démarche que le théologien. Il pratique, si je puis dire, la théologie par l’image. L’art n’explique pas. Il montre, comme les Annonciations des grands maîtres qui témoignent de la rencontre du divin et de l’humain. C’est une théologie très élémentaire, mais qui peut servir de point de départ à la réflexion et à la prière. Mais il faut savoir rester à sa place. » Celle d’un instrument au service du Beau.
L’art a vivifié la foi d’Augustin Frison-Roche, il lui a permis de l’approfondir. « C’est l’art qui m’a ramené à Dieu à une période où je m’étais éloigné de lui. Je suis conscient que c’est une voie singulière. C’est en cherchant l’art avec toute l’exigence possible qu’on se rapproche de Dieu », dit-il, avant de se confier déçu par certains errements de la liturgie. « La médiocrité des chants, l’amateurisme des créations – quand ce n’est pas le rejet explicite de tout ce qui peut contribuer à la beauté de la liturgie – sont pour moi des obstacles à une réelle expérience spirituelle. Il y a là, sans doute, une déformation professionnelle, mais l’aspiration à la beauté concerne tout le monde. Notre religion est celle de l’Incarnation, notre foi doit s’incarner dans le beau. Le but d’un tableau est qu’il atteigne cette harmonie qui va parler à l’âme. »
L’art comme outil d’évangélisation
Pourtant, l’homme du XXIe siècle n’a plus les mêmes codes que celui du Moyen Âge, qui côtoyait Dieu et ses saints à travers les sculptures et les vitraux des églises. À l’ère des écrans et de l’inculture religieuse, ne faudrait-il pas simplifier ces représentations à l’extrême pour être compris ? Surtout pas, répond le peintre. « Pour que l’évangélisation par l’art soit possible, encore faut-il qu’il y ait de l’art. C’est en étant vraiment exigeant, en créant de belles œuvres que l’on capte l’attention du spectateur. J’en ai eu la preuve à Saint-Malo où des visiteurs, touchés par le tableau de l’Apocalypse, sont allés voir le prêtre pour en apprendre davantage. »
Le beau rapproche de Dieu. Et l’on ne saurait donner tort à Christiane Rancé qui, commentant l’œuvre de Frison-Roche, écrit : « Que ce soit beau, […] c’était certain. Mais alors de cette beauté appareillée à la vérité, de cette beauté qui donne l’invincible désir d’être joyeux. »
Exposition « Épiphanies », au Collège des Bernardins, 20, rue de Poissy, 75005 Paris. Jusqu’au 26 février 2025.
Épiphanies, Augustin Frison-Roche, texte de Christiane Rancé, éd. Klincksieck, janvier 2025, 112 pages, 27,50 €.