Rémi Brague et la morale du Bon Samaritain - France Catholique
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Enfance : éduquer à la sainteté
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Rémi Brague et la morale du Bon Samaritain

Dans son nouveau livre, Rémi Brague discerne dans la parabole du Bon Samaritain l'exemple parfait de l'action morale.
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« Il est interdit d’interdire. » Qui ne se souvient de ce slogan inscrit comme une provocation sur les murs de la Sorbonne ? N’était-ce pas le mot d’ordre même d’une révolution qui entendait « changer la vie », bien au-delà même des tentatives de subversion du monde bourgeois et capitaliste ? On pouvait d’autant mieux s’interroger là-dessus que tout un courant de pensée post-soixante-huitard s’acharnait à déconstruire les fondements de la morale commune, à commencer par les interdits freudiens.

Et pourtant, à l’inverse d’une telle tendance, la mentalité actuelle semble se livrer à une sorte d’hyper-moralisme, en surchargeant l’humanité d’obligations méconnues des générations précédentes. Jamais on n’a parlé avec autant d’insistance du respect de la nature et même du droit des animaux.

Invitation à la modestie

Est-ce à dire, pour autant, que tous les maux les plus redoutables soient sur le point d’être éradiqués ? Sûrement pas. On s’en aperçoit avec le retour de la guerre en Europe ou, au plus près de chez nous, l’usage grandissant des drogues qui est devenu un véritable fléau national que l’autorité peine à juguler – et pas seulement dans «les quartiers perdus de la République »… Voilà qui devrait nous rendre plutôt modestes dans notre prétention moralisatrice, qui manque souvent d’éclairage approprié.

C’est ce qui conduit un philosophe aussi expérimenté que Rémi Brague à interroger toute la tradition de l’humanité, en se référant à ses véritables lumières, pour comprendre « ce que c’est au juste que la morale, quelles en sont les composantes, quels en sont les divers modèles, quelles sont les réalisations concrètes des dits modèles ».


On pensera peut-être qu’un tel dessein augure une sorte de traité magistral au développement considérable. Pourtant, l’auteur réussit l’exercice dans un ouvrage relativement court – 160 pages –, qui donne le sentiment d’une perception plénière et nullement bousculée du sujet.

En un mot, la morale concerne l’individu au premier chef parce qu’il a face à lui un « prochain » qui, selon la formule d’Emmanuel Lévinas, « le prend en otage ». De plus, qui dit morale renvoie forcément à la notion d’une loi qui m’oblige et revêt une dimension universelle : « Agis de telle façon que la maxime de ta volonté puisse en tout temps valoir comme le principe d’une législation universelle » (Emmanuel Kant).

« Le bien ne fait pas de bruit »

C’est dans la parabole évangélique du Bon Samaritain que Rémi Brague discerne une sorte d’exemple parfait de l’action morale, tant les principes ne valent que dans leur incarnation la plus concrète. Ce qui est admirable dans la parabole du Christ, c’est la pure gratuité d’une « charité », où le Samaritain ignore l’identité de la victime, laquelle ignorera toujours l’identité de son sauveteur. On peut, certes, évoquer la vertu que suppose une telle bonne action. Rémi Brague préfère parler de « virtuosité », comme il y a une virtuosité de l’artiste et du poète qui dépasse l’usage des règles de l’art pour accomplir spontanément un chef-d’œuvre. La sagesse populaire a depuis toujours enregistré de plus que le bien ne fait pas de bruit.

Mais qu’en est-il de la morale chrétienne et même « judéo-chrétienne » que la parabole évangélique semble ériger sur un mode supérieur ? Là-dessus, Rémi Brague ne s’inscrit pas en apologète d’une exception. On pourrait plutôt parler d’une différence. Car les exigences et les refus de la morale chrétienne – et déjà du Décalogue biblique – sont strictement identiques à la morale commune. S’y ajoute une nuance d’intériorité et d’universalité. Tout homme est mon prochain. Ce qui n’exclut pas une réflexion théologique spécifique, ne serait-ce que sur les relations de la liberté et de la grâce divine.

La morale remise à sa place, Rémi Brague, éd. Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », novembre 2024, 160 pages, 18 €.