La force surnaturelle du martyre - France Catholique
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Enfance : éduquer à la sainteté
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La force surnaturelle du martyre

C’est le don de force qui a permis à tant de chrétiens de supporter le martyre, soutenus par l’Église dont ils sont devenus les témoins.
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Lorsque le temps des grandes persécutions collectives trouva son terme avec l’édit de tolérance envers la foi chrétienne, en avril 313, le modèle proposé par l’Église à tout fidèle demeura le martyre. Aux passions historiques furent adjoints des panégyriques à foison, des passions épiques, des romans hagiographiques, sans parler des nombreuses homélies épiscopales faisant le parallèle entre toute vie de baptisé et le martyre.

Des exemples

Les sermons d’Augustin à Hippo Regius, à Carthage et dans d’autres villes, soulignent souvent que tous les membres du Christ doivent être unis dans une imitation des martyrs, car ces derniers sont imitables dans la façon dont ils affrontent la mort, même si toute mort n’est pas scellée par l’effusion du sang. Les martyrs nous invitent à l’effort, à accepter les souffrances et les tentations, à avancer dans la patience et toujours en combattant, quel que soit le type de mort qui nous est réservé. Ils sont imitables car ils ont méprisé le monde et ils ne se sont souciés que des vertus : piété, patience, humilité, miséricorde, amour des ennemis, force, etc.

Ainsi les Pères seront-ils habitués à transposer la force surnaturelle propre au martyre à toutes les autres formes de sainteté, par exemple Méthode d’Olympe parlant des vierges consacrées : « N’ont-elles point porté témoignage, non pas en subissant pendant un court moment des douleurs corporelles, mais en soutenant jusqu’au bout, sans faiblir, toute leur vie durant, le véritable combat olympique qu’est la lutte pour la chasteté ? » (Le Banquet, VII. 3).

Fascination

Le premier poème écrit en français, en 880, raconte le martyre de sainte Eulalie et, depuis, non seulement l’Église mais aussi la littérature et la poésie ne cessèrent d’être fascinées par le phénomène du martyre, y compris des esprits forts comme Victor Hugo dans Les Châtiments, ou des défenseurs de la foi comme Chateaubriand dans son épopée Les Martyrs.

Ceci pour dire que l’attirance étrange envers ceux qui versèrent ou versent leur sang pour le Christ provient du fait que l’origine de leur courage est surnaturelle : il s’agit du don de force qui nourrit la vertu de force et qui, ensuite, irradie dans toutes les fibres d’un être pour le rendre totalement vertueux.

Voilà pourquoi d’ailleurs le martyre est un autre baptême, tout aussi efficace que celui par l’eau et le Saint-Esprit pour effacer le péché originel et les péchés personnels. Parlant du grenadier dont le fruit aux grains multiples est symbole d’éternité et dont le jus est rouge sang, saint Ambroise dit dans un sermon sur la Création : « Belle du sang de tant de martyrs et, ce qui compte davantage, ornée par le sang du Christ qui est sa dot, l’Église se revêt de la lumière précieuse de la foi ; elle recueille en elle-même, sous bonne garde, des fruits abondants produits par cet arbre, et représentant de nombreux actes vertueux » (Exameron, III. 13, 56). Le martyre n’est donc pas seulement un geste héroïque personnel mais aussi le témoignage d’un individu pour la croissance de toute l’Église, cette dernière l’accompagnant, le soutenant dans la mort et le récompensant ensuite en le vénérant. La force pratiquée par chaque martyr est ainsi une semence de chrétiens.

Constance de l’âme

L’Église, dès l’origine, célébrera alors le saint sacrifice de la messe, sacrifice non sanglant du Christ, sur les reliques des martyrs qui ont versé leur sang. Le martyr accomplit dans sa chair, pour reprendre des termes pauliniens, « ce qui manque aux souffrances du Christ, pour son corps qui est l’Église » (Épître aux Colossiens 1, 24). Ce qui meut le martyr est la force, non point la force physique des athlètes ou des brutes, mais la constance de l’âme qui ne fléchit pas au sein des pires tourments et des tortures. Il suffit de lire chaque jour à l’office de prime le Martyrologe pour découvrir à quel point la haine des hommes contre le Christ a fait preuve de perversité dans l’invention des supplices.

Saint Thomas d’Aquin définit ainsi la vertu de force qui porte le martyr au témoignage sans sourciller : « La force, considérée comme une certaine fermeté de l’âme, est une vertu générale, ou plutôt la condition générale de toute vertu ; mais considérée dans son action en nous quand nous sommes en présence d’un grand danger, elle est une vertu spéciale » (Somme théologique, IIa-IIae, q. 123, art. 11).

Ce type de force est surnaturel car pas seulement la fidélité à la justice et la bravoure pour affronter un péril mais aussi et par-dessus tout l’attachement inébranlable à la foi qui est la seule fin de l’acte du martyre. Dom Guéranger explique comment cette vertu de force est un fruit du don de force : « L’Esprit-Saint apporte […] un élément nouveau, cette force surnaturelle qui lui est tellement propre que le Sauveur, instituant ses Sacrements, en a établi un qui a pour objet spécial de nous donner ce divin Esprit comme principe d’énergie. Il est hors de doute qu’ayant à lutter pendant cette vie contre le démon, le monde et nous-mêmes, il nous faut autre chose pour résister que la pusillanimité ou l’audace. Nous avons besoin d’un don qui modère en nous la peur, en même temps qu’il tempère la confiance que nous serions portés à mettre en nous-mêmes. L’homme ainsi modifié par le Saint-Esprit vaincra sûrement ; car la grâce suppléera en lui à la faiblesse de la nature, en même temps qu’elle en corrigera la fougue » (Année liturgique, notice sur le don de force figurant au mercredi de la Pentecôte).

Le pardon des bourreaux

La marque la plus surnaturelle de ce don est sans doute la capacité du martyr à pardonner à ses bourreaux. Un chrétien qui serait tué en haine de la foi mais qui maudirait ses persécuteurs ne serait pas regardé comme martyr par l’Église. Et le sens historique de l’Église conduit bien, à travers le règne de l’Antéchrist, à un martyre jusqu’à la dernière goutte des deux derniers témoins (Apocalypse de saint Jean, 11, 3-7).

En se préparant à ce martyre sanglant, toujours possible, chaque baptisé doit grandir dans la vertu de force pour des combats plus ordinaires mais communs et répétés, comme le rappelle le philosophe Marcel De Corte (1905-1994) : « La vertu de force ne consiste pas seulement aujourd’hui à tenir ferme dans les périls corporels, mais à maintenir l’essence de l’homme, et avant tout sa nature d’animal politique tant au plan naturel qu’au plan surnaturel, contre les dangers de plus en plus nombreux qui la menacent de mort, et à contre-attaquer les ennemis qui pullulent autour d’elle et tentent de l’asservir, de la transformer pour l’anéantir » (De la force).

L’assemblée des martyrs dans le paradis n’est point de trop pour aider chacun à suivre leurs pas, en commençant avec humilité au cœur de son devoir d’état.

À lire
Une résistance juive d’hier à aujourd’hui. Commentaire du second livre des Maccabées, Christophe Eoche-Duval, Via Romana, 150 pages, 25 €.