Le Syllabus de 1865, ou l'empereur contre le pape - France Catholique
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Le Syllabus de 1865, ou l’empereur contre le pape

Le 5 janvier 1865, Napoléon III interdit la publication de l’encyclique Quanta cura et du Syllabus de Pie IX qui condamnaient les « erreurs du monde moderne ». Explications de Philippe Pichot-Bravard, maître de conférences en histoire du droit à l’université de Brest.
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Pie IX en 1875.

Le Syllabus est un catalogue de 80 propositions condamnées par le pape Pie IX. Il fut préparé au cours des années précédentes par un conseil de théologiens qui avait remis ses conclusions au pape en février 1862. De multiples interventions avaient alors croisé leurs efforts pour dissuader Rome de publier cette condamnation solennelle des erreurs de la modernité. Une telle condamnation dérangeait de savants équilibres et rappelait que les principes fondamentaux sur lesquels reposaient les institutions politiques de tous les États prenaient l’exact contrepied de la conception catholique de l’homme et de la société.

Danger du libéralisme

Le discours prononcé à Malines en août 1863 par Charles de Montalembert devant une assemblée de catholiques, qu’il invitait à « prendre leur parti de la grande Révolution qui a enfanté la société moderne », afin de combiner démocratie libérale et christianisme, et plus encore peut-être, le concert d’applaudissements qui l’avait accueilli, rendit, aux yeux de la Curie, nécessaire la publication de ce Syllabus. Par égard pour les services rendus par Montalembert à l’Église, la Curie avait renoncé à manifester publiquement sa désapprobation mais, selon le témoignage du duc de Broglie, le cardinal Antonelli, secrétaire d’État, n’en avait pas moins adressé à Montalembert une lettre l’avertissant, sur un « ton d’extrême sévérité », du déplaisir que son discours avait suscité à Rome.

Par ailleurs, la nécessité politique de ménager Napoléon III ne semblait plus s’imposer avec autant de force : le 15 septembre 1864, après de longues négociations, la France s’était en effet engagée, vis-à-vis du Piémont, à rappeler les troupes qu’elle entretenait dans les États pontificaux depuis 1849, et qui en assuraient la protection contre les menées révolutionnaires de Garibaldi. Ce traité fut jugé sévèrement en France par nombre de catholiques qui y virent un abandon du pape par l’empereur.

Contre le relativisme

L’encyclique Quanta cura et le Syllabus condamnaient les différents aspects de la modernité philosophique, à savoir le rationalisme hérité de Descartes et de Kant, qui, notamment, conduit à nier la nature divine du Christ ; l’étatisme, qui ambitionne le monopole de l’enseignement ; le régalisme qui soumet l’Église dans l’accomplissement de sa mission spirituelle au contrôle de l’État ; la franc-maçonnerie, société secrète maintes fois condamnée par le Magistère depuis 1738 ; le socialisme, qui assure l’emprise de l’État sur la famille ; les doctrines économistes, qui ne recherchent que l’accumulation des richesses matérielles sans souci du bien commun ; le naturalisme, qui considère comme un progrès que la société humaine soit gouvernée sans tenir compte de la religion ; le panthéisme ; l’indifférentisme et le libéralisme moderne, qui promeut une conception relativiste de la liberté mettant sur un pied d’égalité la vérité et l’erreur.

La formulation très brève, trop abrupte, de certaines propositions devait alimenter la perplexité de certains catholiques et offrir aux ennemis de l’Église l’occasion de dénaturer le Syllabus. Le texte offrait parfois prise à la critique et à la mauvaise foi. C’était en particulier le cas de la dernière formulation qui désavouait la proposition suivante : « Le pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, avec le libéralisme et la civilisation moderne. »

Le Syllabus s’attaquait également aux institutions des États de l’époque, et notamment à celles de l’Empire napoléonien. Certes, l’Empire n’y était jamais explicitement cité, néanmoins nombre des articles du Syllabus s’appliquaient à lui, épinglant, notamment, les articles organiques complétant le Concordat de 1801, la définition donnée par le Code Napoléon du mariage, le contrôle exercé par l’Université impériale et le Conseil supérieur de l’instruction publique sur l’enseignement, ou encore le positivisme juridique. Le Syllabus reprochait implicitement aux États, et notamment à l’Empire français, héritier des principes de 1789, de ne plus reconnaître ce que Mgr Pie appelait « la royauté sociale » du Christ.

Hostilité de Napoléon III

Dès lors, le Syllabus ne pouvait que se heurter à l’hostilité du gouvernement impérial. Sur les conseils de Mgr Darboy, archevêque de Paris, et de Mgr Maret, Napoléon III signa le 5 janvier 1865, un décret interdisant la publication de l’encyclique Quanta cura et du Syllabus au motif qu’elles « conten[aient] des propositions contraires aux principes sur lesquels repose la Constitution de l’Empire ». Dès lors, le Syllabus risquait fort de n’être connu du public que par les commentaires malveillants de la presse anticléricale…

La réception du Syllabus suscita des réactions variées : à l’hostilité virulente des milieux anticléricaux, qui voulurent y voir la confirmation éclatante du reproche fait à l’Église d’être l’adversaire de la science, de la raison et du progrès, répondit la réception enthousiaste des catholiques ultramontains, et de quelques rares évêques, comme Mgr Pie, Mgr de Dreux-Brézé ou Mgr Mathieu. Le comte de Chambord adhéra fermement au Syllabus, ce qui devait, au début des années 1870, lui attirer l’opposition sourde des libéraux catholiques… Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, s’employa à expliquer le Syllabus et l’encyclique Quanta cura pour en désamorcer les interprétations erronées, quitte à en affaiblir un peu la portée.

De son côté, Montalembert, insatisfait de l’explication donnée par Mgr Dupanloup, profondément blessé, aigri même, réagit très douloureusement à ce désaveu implicite du discours qu’il avait prononcé à Malines. La majorité de l’épiscopat, derrière Mgr Darboy, se plia, sans difficulté, aux ordres du gouvernement. Effet indésirable du régime concordataire, la grande majorité des évêques étaient les serviteurs de l’État bien plus que ceux de l’Église, ce qui interdisait au Magistère de trouver au sein de l’épiscopat le relais puissant dont il avait besoin pour transmettre aux fidèles son enseignement, dès lors que celui-ci gênait les intérêts du gouvernement en place.