La nuit de Noël 1223, saint François d’Assise donna à fêter la naissance du Christ d’une façon qui n’avait jusqu’alors jamais été imaginée. Depuis son voyage à Bethléem, il souhaitait ressentir pleinement ce que Jésus, enfant, avait vécu dans le dénuement de la crèche et il retrouva dans les grottes qui entouraient la bourgade de Greccio, dans le centre de l’Italie, les paysages de Terre sainte. Il fit remplir l’une d’elles de paille et de foin, fit trouver un âne et un bœuf et convia ses frères franciscains et tous les habitants de la région à la messe de la Nativité. C’est ainsi que saint François inventa la première crèche vivante de l’histoire, une crèche où le Ciel s’invita sur la terre car le Christ se manifesta en personne ! En effet, au moment de la consécration, l’assistance eut l’impression très nette de voir un véritable enfant endormi dans la crèche et chacun vit frère François le prendre dans ses bras et lui sourire.
À l’issue de cette extraordinaire veillée, les fidèles repartirent chez eux avec une joie qu’ils n’avaient jamais connue, celle de l’Enfant-Jésus ressuscité dans leurs cœurs.
L’Enfant-Jésus dans les bras
À l’instar de François d’Assise, saint Gaétan de Thiène, apôtre de la charité dans l’Italie du XVIe siècle, reçut la grâce une nuit de Noël 1517 de voir le Christ sous la forme d’un petit enfant. Il le prit dans ses bras et le caressa longuement. Un moment d’une suavité inouïe vécu au sein de la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome. Saint Bernard de Clairvaux connaîtra une expérience presque semblable mais qu’il apparente à un songe alors qu’il est enfant. La nuit de Noël, pendant son sommeil, il vit clairement la Vierge Marie tenant Jésus dans l’étable de Bethléem. À son réveil, il fut persuadé que le nouveau-né de la crèche l’avait visité. Sa vie spirituelle restera imprégnée par la contemplation du mystère de l’Incarnation.
Les paroles de l’abbé Huvelin
Sans atteindre un haut degré d’expérience mystique, deux autres grandes figures chrétiennes eurent leurs vies bouleversées par la contemplation de la crèche. Charles de Foucauld n’oubliera jamais les paroles de l’abbé Huvelin prononcées lors du Noël 1886 deux mois après sa fulgurante conversion en l’église Saint-Augustin à Paris: « Jésus, vous avez tellement pris la dernière place que personne n’a pu vous la ravir. » Dès lors, le futur ermite n’aura de cesse que de vouloir imiter le Christ dans son abaissement. Sa quête spirituelle le mènera à Bethléem pour Noël en 1888. Il entendra la messe de Minuit, recevra la Sainte Communion dans la grotte avant de retourner à Jérusalem deux jours plus tard. Il confiera dans l’une de ses lettres : « La douceur éprouvée à prier dans cette grotte qui avait résonné des voix de Jésus, de Marie, de Joseph a été indicible. »
L’autre grand converti, ou plutôt reconverti à une nouvelle façon de vivre son sacerdoce, est le bienheureux Antoine Chevrier, vicaire de la paroisse Saint-André à la Guillotière à Lyon, un quartier habité par des ouvriers. Alors qu’il était en prière devant la crèche, la nuit de Noël 1856, il fut ému jusqu’au fond de son âme en contemplant l’Enfant-Jésus si vulnérable et comprit comme une évidence qu’il lui fallait suivre le Christ en épousant sa pauvreté. Il décida alors de quitter son confort bourgeois pour se conformer à l’humble condition des miséreux de son quartier, puis il créa l’association des prêtres du Prado pour qu’à sa suite ils puissent évangéliser en vivant pauvres parmi les pauvres. Jusqu’à la fin de sa vie, le Père Antoine Chevrier répétera : « Si vous voulez suivre Jésus, regardez la crèche, la croix et le tabernacle. »
La vision de sainte Claire
Lorsque les saints sont dans l’impossibilité de méditer devant la crèche et de se rendre à la messe de Minuit, il arrive que ce soit la douce célébration de Noël qui vienne à eux ! Ainsi en fut-il pour sainte Claire d’Assise le 24 décembre 1252. Alitée, car malade les trente dernières années de sa vie, elle ne put accompagner ses Sœurs clarisses au couvent des franciscains à quelques kilomètres de là. Elle pria pour pouvoir assister à l’office de la Nativité tant sa dévotion pour le mystère de la naissance de Jésus était grande. C’est alors que seule dans sa chambre elle entendit les chants de Noël et vit la crèche comme si elle était dans l’église ! C’est en raison de cette vision que sainte Claire fut proclamée patronne de la télévision par Pie XII le 14 février 1958. Son amour pour l’Enfant-Jésus si pauvre dans la crèche était tel qu’elle établira dans la Règle des clarisses et dans son testament le vœu suivant : « Par amour de l’Enfant très saint et bien-aimé, enveloppé de pauvres petits langes, couché dans une crèche, et de sa Très Sainte Mère, j’avertis, je supplie et j’exhorte mes Sœurs à toujours se vêtir de vêtements vils. »
Si la crèche enseigne l’abaissement, elle est aussi source de joie pour les disciples du Sauveur et certains l’ont manifesté d’une façon spectaculaire. Saint Joseph de Cupertino aimait tellement la fête de Noël qu’il lévita un 24 décembre aux yeux de tous dans l’église du couvent de Grotella en Italie. Il avait convié des bergers avec fifres et musettes et tandis que la musique résonnait dans la nef, il se mit à danser puis s’éleva dans les airs pour voler sur 75 mètres afin d’aller embrasser le tabernacle ! Devant les fidèles médusés, il resta agenouillé sur l’autel, sans renverser les chandeliers, en enserrant le tabernacle pendant plus d’un quart d’heure avant de redescendre sur terre les yeux baignés de larmes. Comme le bienheureux Père Antoine Chevrier deux cents ans plus tard, saint Joseph de Cupertino voulait-il faire comprendre que le mystère de Noël réside aussi dans le tabernacle, qui accueille le Corps du Christ comme la crèche a accueilli l’Enfant-Jésus ?