La piété populaire est-elle une forme de paganisme ? - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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La piété populaire est-elle une forme de paganisme ?

Pourquoi les hommes sont-ils attachés à des manifestations concrètes et tangibles de leur foi ? Tout simplement parce qu'ils ne sont pas des anges…
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La Bénédiction des blés (détail), 1857, Jules Breton, musée des Beaux-Arts d'Arras, France.

Parmi toutes les critiques que l’on a pu formuler contre la piété populaire, la plus courante est celle qui consiste à lui reprocher d’être trop proche de la coutume et de l’esprit de clocher, enfoncée dans le particulier au détriment de l’universel, autrement dit d’être une forme païenne de religiosité, inadéquate au vrai Dieu, qui n’est pas le Dieu d’un lieu mais le « Tout-Autre ». Il est vrai que les saints régionaux, les petits pèlerinages, les processions, les rogations, les calvaires, tout cela sent la terre, la glèbe, les chemins pierreux – toutes choses oubliées par les citadins de la ville-monde !

L’erreur est ici d’insinuer que l’adoration du Dieu unique serait exclusive de l’amour que tout un chacun – s’il n’a pas encore été complètement coupé de ses origines – peut ressentir pour ses traditions, pour ses ancêtres, pour son petit coin de terre. Car il n’y a pas de contradiction entre les deux. Il devrait, au contraire, y avoir une continuité de l’une à l’autre, une sorte de gradation qui, de la piété à l’égard des parents, conduit à la piété envers le Père par excellence – la seconde n’abolissant pas la première. Voyons cela.

« L’homme, écrit saint Thomas d’Aquin, est constitué débiteur à des titres différents vis-à-vis d’autres personnes, selon les différents degrés de perfection qu’elles possèdent et les bienfaits différents qu’il en a reçus. » Au titre des bienfaiteurs, Dieu occupe assurément la première place, puisqu’il est parfait et qu’il a créé notre âme. Aussi est-il l’unique objet de notre adoration. Mais, juste après lui, nos plus grands bienfaiteurs sont évidemment nos parents, puisqu’ils nous ont transmis la vie et donné l’éducation.

C’est pourquoi l’honneur dû aux parents – que les Romains nommaient la pietas – est dans le Décalogue l’objet du quatrième commandement, le premier de ceux qui concernent les relations humaines. La gratitude à l’égard des parents s’étend ensuite à cette famille élargie que l’on nomme la patrie qui est faite, comme disait Auguste Comte, « de plus de morts que de vivants ». « En conséquence, conclut saint Thomas, de même qu’il appartient à la religion de rendre un culte à Dieu, de même, à un degré inférieur, il appartient à la piété de rendre un culte aux parents et à la patrie » (Somme théologique, II-II, 101, 1).

Piété filiale

En son sens premier, la piété est donc cette vertu que célébrait Sophocle dans son Antigone, et que chantait Virgile dans son Énéide. Vertu tendre et intransigeante à la fois, qui porte à faire preuve d’une constante ferveur dans l’exécution des devoirs familiaux – devoirs qui découlent d’une loi éternelle et non écrite que les païens eux-mêmes trouvaient gravée dans leur cœur et qui, déjà, en creux, leur parlait de Dieu.

C’est pourquoi la religion et la piété communiquent : Dieu étant le Père par excellence, la religion est la piété suprême, et les pères humains étant les images de Dieu sur Terre, il y a quelque chose de religieux dans la piété filiale. Il convient bien sûr de mettre chacun à sa place – Dieu premier servi ! – mais il n’y a pas de raison, sauf accident, de mettre les deux piétés en concurrence.

C’est si vrai que la Sacrée Congrégation De Propaganda Fidei, dans un texte paru en 1939 sous l’autorité de Pie XII (Plane compertum), a autorisé le maintien du « culte des ancêtres » chez les Asiates convertis au catholicisme. À condition, bien sûr, qu’il soit une simple vénération et ne soit associé à aucune croyance contraire au christianisme. « L’on sait parfaitement, disait le décret, qu’en Extrême-Orient, certaines cérémonies autrefois liées à des rites païens n’ont plus aujourd’hui qu’une signification purement civile de piété envers les ancêtres, d’amour pour la patrie, ou de politesse dans les rapports sociaux… Il est permis aux catholiques d’assister aux cérémonies qui s’accomplissent devant l’image ou la tablette de Confucius, dans les monuments élevés en son honneur ou dans les écoles » (§1). Voilà qui a le mérite d’être clair et de prouver, par un argument a fortiori, que la dimension folklorique du culte populaire, liée à l’attachement des fidèles à leurs traditions locales, n’a non seulement rien d’illicite, mais relève tout simplement d’une saine et naturelle piété.

Et pour aller à la racine même des choses, je dirai que la légitimité du « local », du « particulier », du « terroir » comme forme du culte divin, tient à l’incarnation fondamentale de l’humanité. L’homme, en effet, n’est pas un ange. Il est charnel, non seulement comme individu, puisqu’il est de chair et d’os, mais aussi comme être communautaire, puisqu’à moins d’être un spectre, et sauf accident, on est toujours né quelque part, dans une famille, dans une langue, dans une culture, sous un certain climat.

Les couleurs de notre « patelin »

Il est donc profondément normal de se rapporter au Dieu unique, créateur de la diversité humaine, sous les atours de notre incarnation particulière, avec ses couleurs propres. Cela ne signifie pas qu’il faille repeindre l’Éternel aux couleurs de notre « patelin » ! Mais cela signifie bien que, pour adorer l’Éternel, notre « patelin » n’a pas à cesser d’être lui-même. Il doit seulement se laisser transfigurer par la lumière de l’Unique Trinité, resplendissante dans le Christ, mort et ressuscité. Toute piété populaire qui se détacherait de ce centre risquerait de sombrer dans des dérives condamnables. Mais quand elle y est rattachée, comme les rayons lumineux au soleil, elle est une conséquence logique du fait que Dieu, comme dit Jean, « a planté sa tente parmi nous » (Jn 1, 14).