Leurs prénoms fleurent bon les plages de sable fin, sur la côte de l’extrême sud de la Corse : San Cipriano, « Saint-Cyprien », Santa Giulia, « Sainte-Julie », non loin de Porto-Vecchio. Qui se souvient que ces toponymes attestent de la première présence chrétienne en Corse, dès le IIIe siècle ? L’évêque Cyprien et la jeune Julie moururent martyrs à Carthage, que les premières communautés chrétiennes, en proie à la persécution, quittèrent pour les rivages de la Corse, emmenant la dévotion à leurs saints. « Le peuple insulaire était réceptif aux premières évangélisations venues de Carthage alors que la pratique païenne était très répandue », souligne l’abbé Frédéric Constant, vicaire général du diocèse d’Ajaccio. Au panthéon des saints martyrs vénérés en Corse figure également sainte Dévote – Divota –, jeune chrétienne née sur l’île à Lucciana et exécutée vers 312 sous le règne de Dioclétien. Elle est la patronne principale de la Corse, avec sainte Julie, par décret de la Sacrée Congrégation des rites en 1820.
Le culte des martyrs
Ces premiers chrétiens seront rejoints, au Ve siècle, par les évêques venus eux aussi d’Afrique du Nord, subissant l’exil provoqué par les invasions vandales. Perpétuant le culte des martyrs, ils orchestrèrent l’évangélisation de l’île. Un siècle plus tard, sous l’impulsion du pape saint Grégoire le Grand, un premier réseau d’églises est véritablement créé et cinq diocèses voient le jour. Il reste de cette période les précieuses lettres de saint Grégoire : élu pape en 590, soucieux de la réorganisation administrative de l’Église, le Saint-Père encourage la création de monastères et s’inquiète du relâchement de la discipline ecclésiastique. Dans une lettre de septembre 596, il s’indigne que « les Corses adorent encore la pierre et le feu et que des chrétiens baptisés soient retournés à des pratiques païennes ». Une autre lettre, du mois d’août 601, constate la vacance des sièges des évêchés d’Aléria et d’Ajaccio depuis plusieurs années.
Influence pisane
À ce tableau d’une christianisation difficile, surtout à l’intérieur des terres, s’ajoute une période troublée qui va durer jusqu’au XIe siècle. La Corse est la proie des Vandales, puis des Lombards. Devenue un État pontifical au VIIIe siècle, elle est alors inquiétée par les premières incursions sarrasines. Ses habitants devront attendre 1077 pour que le pape Grégoire VII confie l’administration de la Corse à l’évêque de Pise. Ce dernier aura la charge de reconstruire les sièges épiscopaux d’Ajaccio, Aléria, Nebbio, Mariana et Sagone détruits lors de vagues d’invasions successives.
L’accalmie sera de courte durée, car Gênes dispute la Corse à Pise. Le pape Innocent III ne veut pas faire de jaloux : en 1133, il confie la gestion de trois évêchés à Pise, et des trois autres à Gênes. La Corse sortira considérablement affaiblie de cette double domination belliqueuse, même si les évêchés sous influence pisane – Ajaccio, Sagone et Aléria – connaissent une effervescence artistique sans précédent. Une partie de l’île se couvrira d’églises et de chapelles romanes durant deux siècles. De nos jours, ce sont les monastères franciscains, dont beaucoup sont en ruine, qui donnent aux paysages leur singularité.
À partir du XIIIe siècle, les disciples de François d’Assise ont en effet changé l’âme de la Corse. Une légende insulaire rapporte que le saint, vers 1215, serait venu s’abriter d’une tempête près de Bonifacio, alors qu’il tentait de regagner Assise en revenant d’Espagne. Il aurait profité de cette escale forcée pour fonder le premier couvent franciscain de Saint-Julien. En mourant, le Poverello aurait confié la Corse à Jean Parenti, qui lui a succédé à la tête de l’ordre.
Expansion franciscaine
Encouragé par le cardinal Ugolin, le futur pape Grégoire IX, ce dernier fonda six couvents dans le nord de la Corse au prix d’un investissement surhumain : le peuple était miséreux et ignorant, fragilisé par les razzias arabes. Les Frères mineurs sauront toucher les cœurs par leur mode de vie simple, en accord avec le vœu de pauvreté de saint François. Leur expansion sera rapide. À la veille de la Révolution française, 1 100 moines sont répartis dans 75 couvents franciscains et membres des trois branches de l’ordre : observants, réformés ou capucins. De nos jours, une dizaine de monastères tiennent encore debout : les capucins résident dans le couvent Saint-Antoine de Bastia, les clarisses mènent une vie de prière à Sartène et, depuis 1992, les Frères de Saint-Jean ont pris la suite des dominicains dans le magnifique couvent de Corbara. Le Rosier de l’Annonciation, la Communauté Saint-Martin et la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre font également partie des communautés religieuses récemment installées en Corse.
Épargnée par les hérésies
Fait inédit à travers dix-huit siècles de christianisme : la Corse n’a connu ni schisme, ni hérésie. Elle ne sera pas touchée par la Réforme protestante mais tirera profit des mesures décidées par le concile de Trente : la Réforme catholique se fera sentir dans l’île, avec un clergé formé dans les séminaires et les collèges jésuites d’Ajaccio et de Bastia. Dans les arts, le baroque italianisant gagnera les façades et l’intérieur des églises de la Corse pour insuffler une vigueur encore palpable aujourd’hui.
Un Franciscain à l’œuvre
Saint Léonard, artisan de paix
Sa mission fut courte mais intense. En 1744, le prêtre franciscain Léonard Casanova, originaire de Port-Maurice près de Gênes, fut envoyé sur l’Île par le pape Benoît XIV et le Sénat de Gênes pour apaiser les conflits. La Corse connaissait une grande instabilité politique, les liens se dégradant avec Gênes dont elle était la colonie. Les vendettas entre familles rendaient également la vie impossible aux habitants.
Léonard arriva à Bastia fort de sa popularité de missionnaire qui avait fait des miracles dans toute l’Italie. En cent vingt-sept jours, aidé de cinq frères franciscains, il sillonna l’île à un rythme effréné, prêcha la réconciliation aux habitants, confessa nuit et jour et construisit 153 chemins de Croix dont il encouragea la dévotion. Léonard reste dans les mémoires en Corse pour avoir converti un célèbre bandit surnommé Lupo, « le loup », et pour avoir appris à des mères éplorées le pardon pour les assassins de leurs fils.
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- LES GAULOIS PARMI NOUS (*)
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)