Nous avons traversé la Méditerranée et une grande partie du continent pour nous retrouver aux pieds de Notre-Dame de Paris pour sa réouverture au culte et à la visite. La place de Notre-Dame de Paris dans notre histoire et l’histoire universelle incite à une grande réflexion. Dans sa Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres Péguy ne peut s’empêcher de la nommer. Il écrit :
« Nous arrivons vers vous de l’autre Notre-Dame,/De celle qui s’élève au cœur de la Cité,/Dans sa royale robe et dans sa majesté,/Dans sa magnificence et sa justesse d’âme./Comme vous commandez un océan d’épis,/Là-bas vous commandez un océan de têtes,/Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes,/Se couchent chaque soir devant votre parvis. » Plus haut, il avait déjà écrit : « Nous arrivons vers vous de Paris capitale./C’est là que nous avons notre gouvernement,/Et notre temps perdu dans le lanternement,/Et notre liberté décevante et totale. »
On trouve dans ces vers l’explication du rayonnement de Notre-Dame de Paris. Elle siège au cœur de la cité, comme une reine, et cette cité est capitale du royaume ainsi que Clovis l’avait choisie en raison de sa position centrale et de sa place sur la Seine.
Un manifeste de la Chrétienté
Notre-Dame de Paris nous invite aussi à réfléchir à ce qu’est une cathédrale : la manifestation en pierres, en verres, en sculptures et en peinture de ce qu’est la Chrétienté. La cathédrale prouve par tous ses éléments que la Chrétienté existe car elle est le résumé et la transfiguration de cette société qui fut entièrement chrétienne. Construite à l’initiative d’un évêque et d’un roi, elle est encore l’œuvre des corporations qui avaient à cœur d’avoir leur chapelle. Elle est aussi un univers où tout le peuple, y compris les marginaux, a sa place et où même les démons représentés dans les gargouilles concourent sans le savoir à l’œuvre de Dieu. Le trait de génie de Victor Hugo qui, par son roman Notre-Dame de Paris sauva la cathédrale des pics des démolisseurs, fut d’avoir fait de la Esmeralda et de Quasimodo les héros de Notre-Dame. Non seulement ils comblaient de romantisme ses lecteurs mais ils faisaient également sentir le rôle social de la cathédrale.
Un royaume voulu par Dieu
Quand Jeanne d’Arc parlait du « Saint Royaume de France », elle savait que ce n’était pas un royaume composé de saints. Elle les connaissait trop bien : le Dauphin et ses faiblesses, l’archevêque de Reims qui la trahirait plus tard, Gilles de Rais qui deviendrait un monstre, et le « beau duc d’Alençon » qui préférerait les intérêts de son duché à ceux du royaume de France. Mais elle savait que, malgré toutes ces tares et bien d’autres, ce royaume était voulu par Dieu et que, donc, à l’image de l’Église dont il est un morceau, il était saint tout en étant composé de pécheurs. La cathédrale, dans sa volonté de rassembler le peuple entier est une image de ce royaume et de l’Église où les pécheurs ont leur place et sont transportés vers la Lumière comme le veut cette architecture, appelée à tort gothique mais à laquelle il faut redonner son vrai nom d’art français.
« Des lieux où souffle l’Esprit »
Notre-Dame de Paris est et sera toujours le kilomètre 0, celui d’où l’on part et auquel on revient. L’émotion provoquée par son incendie et, aujourd’hui, par sa résurrection montre que c’est bien le monde entier qui communie dans cette « œuvre française » dont le message est toujours vivant.
Le piéton qui foule les pavés de l’île de la Cité éprouve le même sentiment que celui qui s’achemine vers Saint-Pierre de Rome en passant devant le château Saint-Ange : « Il y a des lieux où souffle l’esprit » écrivait Maurice Barrès au début de sa Colline inspirée… L’Esprit qui souffle au cœur de Notre-Dame dépasse tous les temps et tous les lieux mais il a tout de même tenu à s’inscrire dans cette cathédrale de pierres et de vitraux, témoin de son incarnation dans le temps.
Le retour de Notre-Dame de Paris dans sa splendeur originelle ne doit pas être l’occasion d’une aventure touristique, ni même esthétique mais de manifester son respect envers la présence de cet Esprit.