Le portail du Jugement dernier se trouve au centre de la façade occidentale de la cathédrale, entre ceux dédiés à sainte Anne et à la Vierge. Le tympan – la partie centrale du portail – en a été installé, sans doute, vers 1210 puis remonté vers 1240. Le visiteur médiéval y découvrait en images, effrayé, le jugement divin qui attend l’âme en l’autre vie.
Le Christ y apparaît assis sur son trône de gloire, « en majesté se présentant avec son corps d’homme, montrant ses mains percées et son côté transpercé, témoignage de la vérité de l’Évangile, preuve de sa miséricorde infinie. Les cicatrices apparaissent ainsi comme le témoignage des traces que le péché des hommes a laissées sur la chair du Christ » (Notre-Dame de Paris. La grâce d’une cathédrale, La Nuée Bleue).
Des saintes plaies jusqu’au Cœur du Christ
Entourant le Christ, la Vierge et saint Jean, présents au calvaire, implorent la miséricorde du Sauveur pour les âmes. Leur présence associe « l’image du Jugement à celle du Calvaire ». Deux anges, debout, à droite et à gauche, tiennent les instruments de la Passion, parmi lesquels la lance de la transfixion – transpercement du côté.
Il est intéressant de lire cette iconographie médiévale dans le contexte mystique de l’évolution du culte des saintes plaies vers celui du Cœur du Christ. Au Moyen Âge, entre le XIIe et le XIIIe siècle, la dévotion au Cœur sacré est progressivement en train de naître, à partir de la contemplation de cette plaie du saint côté. Ce glissement spirituel s’accomplit, chez les mystiques, à la lumière des psaumes et du Cantique des cantiques, dans la perspective de la miséricorde divine, comme l’attestent des commentaires bibliques de moines.
Ainsi, de saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) : « Les blessures corporelles de son corps ont mis à découvert le sanctuaire secret de son Cœur et le grand mystère de sa bonté compatissante a été manifesté. » À sa suite, son ami Guillaume de Saint-Thierry (1085-1148) demande au Christ que, « dans cette ouverture ainsi pratiquée » de la plaie du saint côté, « nous entrions tout entiers jusqu’à son cœur, […] siège de la miséricorde » (Histoire doctrinale du culte au Cœur de Jésus, Bertrand de Margerie).
Un Cœur ouvert pour le salut des âmes
Au XIIIe siècle, cette contemplation progresse vers un culte, en particulier grâce aux écrits de moniales mystiques « qui se sont réfugiées dans ce Cœur ouvert pour l’adorer en lui rendant amour pour amour » (Histoire doctrinale). Les plus connues se trouvent au monastère d’Helfta, en Flandres. Sainte Lutgarde (1182-1246) reçut plusieurs apparitions du Christ lui montrant son Cœur. à Helfta, elle fut suivie dans cette mystique du Cœur sacré par sainte Mechtilde de Magdebourg (1210-1282) et par Gertrude la Grande (1252-1302). Toutes ont compris, dans le cœur humain du Christ, transpercé par la lance, l’amour de son Cœur divin offert pour sauver tous les hommes.
Prière de sainte Gertrude
« Ô Amour »
« Ô Amour, vous êtes cette eau vive dont j’ai soif. Voilà mon cœur, qui se porte vers vous avec une ardeur qui fait son tourment. Ouvrez-moi l’entrée salutaire de votre aimable Cœur. Voilà le mien […], possédez-le […]. Heureux le cœur qui est favorisé de l’union avec votre Cœur, et vient ainsi à une amitié indissoluble avec vous ! Ô Jésus ma douce Espérance, que votre Cœur déifié, déjà percé pour mon amour, et ouvert sans cesse à tous les pécheurs, soit le premier lieu de refuge pour mon âme au sortir de son corps, et que là, dans l’abîme infini de votre amour, tous mes péchés soient absorbés et consumés en un moment. »