Les origines chrétiennes de la pensée d'Hannah Arendt - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Les origines chrétiennes de la pensée d’Hannah Arendt

La pensée de l’auteur des Origines du totalitarisme, Hannah Arendt, doit beaucoup plus au christianisme qu’on ne le pense.
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Hannah Arendt (1906-1975) en 1958.

Hannah Arendt (1906-1975) en 1958. © B. niggi Radloff / CC by-sa

Dans son essai sur Hannah Arendt, Bérénice Levet revient sur la relation essentielle que celle-ci a entretenue avec le christianisme. On a coutume de l’évoquer à partir des penseurs contemporains dont elle fut la plus attentive des élèves. Mais on oublie qu’elle fut aussi étudiante en théologie, à l’école de figures aussi marquantes que Romano Guardini, Rudolf Bultmann et Paul Tillich.

Pour ne parler que de Bultmann, dont l’exégèse impressionna tellement les études bibliques du XXe siècle, il faut retenir surtout son anthropologie biblique. Notons d’ailleurs que celle-ci résultait notamment d’une confrontation avec Heidegger : « Il s’agissait de mettre en résonance le Livre et la vie, d’établir une correspondance entre l’Écriture et l’existence. Homme de foi ou non, croyant ou non, chacun était appelé à se comprendre, à comprendre l’humaine condition au miroir des Écritures. »

« L’amour chez saint Augustin »

Par ailleurs, on ne saurait oublier qu’Hannah Arendt a consacré sa thèse de doctorat en philosophie au « concept d’amour chez Augustin », le Père de l’Église d’Occident qui l’accompagna jusqu’au bout : « Arendt doit à Augustin le cœur battant de sa philosophie, sa pensée de l’homme comme créature temporelle et l’élévation de la mémoire au rang de reine des facultés, celle qui soutient l’ensemble de l’édifice humain. Une mémoire comprise non comme une simple faculté, ce qui aurait quelque chose de froid, mais comme fidélité. » Qui a lu dans ses jeunes années Les Confessions de saint Augustin ne peut qu’acquiescer à une telle évocation qui se rapporte notamment aux « longs palais de la mémoire ». Bérénice Levet rappelle aussi l’intérêt d’Arendt pour des figures contemporaines du catholicisme, comme Péguy, Bernanos, Chesterton et Maritain : « L’accent mis par la doctrine chrétienne sur la finitude humaine était une philosophie suffisante pour donner à ses adeptes une perception aiguë de l’inhumanité inhérente à toutes les tentatives modernes – psychologique, technique, biologique – de changer l’homme en un superman monstrueux. »

Il est remarquable que notre philosophe ne transige sur aucun des aspects fondamentaux de la théologie chrétienne, d’autant que ceux-ci sont les seuls à rendre compte de la profondeur de notre condition. Seule cette théologie rend compte de l’individu face au salut de son âme « qui souligne la nature pécheresse de l’homme et dresse, de manière corrélative, un catalogue des péchés plus étendu que toute autre religion ».

En 1952, Hannah Arendt assiste à Munich à un concert qui l’émeut au plus intime d’elle-même : le Messie de Haendel, quelle œuvre ! « L’Alléluia me résonne encore dans les oreilles et dans le corps. Pour la première fois, j’ai compris combien c’était formidable : un enfant nous est né. Le christianisme, c’est quelque chose ! » Oui, le christianisme, c’est quelque chose, et elle en tirera toutes les conséquences dans le développement de sa pensée.

Adhésion intellectuelle

Toutefois, on peut se poser une question : cette adhésion intellectuelle, au sens fort, au christianisme n’a pas fait de cette femme exceptionnelle une chrétienne baptisée dans l’Église. Est-ce sa judaïté qui l’expliquerait en partie ? Pourtant, plus proche du Nouveau Testament que de l’Ancien, elle aurait pu être, à l’exemple de Simone Weil avec laquelle elle a beaucoup de traits communs, une chrétienne du porche. Mais l’auteur de L’Enracinement avait quand même franchi le porche, notamment en assistant à la Semaine sainte à Solesmes. On peut penser qu’elle reçut une sorte de baptême de désir à cause des circonstances. Hannah Arendt n’a pas franchi ce pas. Elle ne nous en est pas moins fraternelle.

Penser ce qui nous arrive avec Hannah Arendt, Bérénice Levet, éd. L’Observatoire, 2024, 240 pages, 21 €.