Entre 1803 et 1876, la France bénéficie d’un cycle d’apparitions mariales au cours desquelles Notre-Dame offre à la Fille aînée de l’Église, et au monde, une pédagogie maternelle lui proposant les remèdes à opposer aux maux de la Révolution déferlante. Et l’avertit des désastres qui attendent l’humanité si elle ne sait y recourir à temps. Pourtant, en dépit de leur retentissement, ces visites célestes, qui se répondent et se complètent, ne porteront pas les fruits de grâce et de conversion nécessaires pour conjurer les drames prédits.
Ricanements philosophiques
Fait unique dans les annales : hormis une apparition, en 1717, à un jeune berger auvergnat à l’origine du sanctuaire de Lescure, le XVIIIe siècle ne compte aucune mariophanie – comme si le mépris janséniste envers la dévotion mariale et les ricanements philosophiques avaient dissuadé Notre-Dame de se manifester.
Dans ces conditions, les événements – bien oubliés – de Scey, dans le Doubs, apparaissent comme le prologue du cycle à venir au long du XIXe siècle. En 1803, Marie se manifeste à une première communiante, Cécile Mille, le matin de Pâques, puis à sa famille à l’Assomption. La Vierge, entourée d’anges, rayonne d’une lumière dont les témoins diront qu’en comparaison, « le soleil de ce matin d’août ressemblait à un ver luisant ». Sans dire mot, grâce à la redécouverte d’une de ses statues que l’on pensait perdue, Notre-Dame des Lumières rappelle, en ce retour à la paix religieuse, que la seule Lumière véritable vient de Dieu, et que celles prônées par les philosophes ont plongé la France dans les ténèbres et le malheur.
Elle le redit, plus explicitement, à Catherine Labouré rue du Bac à Paris, la nuit du 19 juillet 1830. « Les temps seront mauvais, les malheurs viendront fondre sur la France. Le trône sera renversé. Le monde entier sera renversé par des malheurs de toutes sortes. […] La Croix sera jetée à terre. » C’est parce que le roi, défenseur des autels, sera détrôné dix jours après et que la Croix sera abattue par les révolutionnaires que les malheurs s’abattront sur la France et, par contamination, sur le monde.
Saint Joseph et le Sacré-Cœur
La destruction de l’ordre chrétien est facteur de déstabilisation universelle. Marie, n’allant pas contre les plans divins, ne propose pas de moyens d’empêcher ces désastres mais demande, ce qui sera désormais partout son leitmotiv, de « prier », de « venir au pied de cet autel » demander les secours nécessaires dans l’épreuve et suggère, entre autres à travers la dévotion à saint Joseph et au Sacré-Cœur, quelques moyens de restaurer l’ordre catholique dans la société. Catherine déplorera le refus de ses supérieurs d’ouvrir la chapelle au public, estimant que l’impossibilité d’y venir prier justifie l’apparition de La Salette, le 19 septembre 1846, et celles de Lourdes en 1858.
À La Salette, « celle qui pleure sur la montagne », selon le mot de Léon Bloy, se fait pressante. Malgré un authentique réveil catholique dont les apparitions de 1830 et la Médaille miraculeuse ont incontestablement constitué un moteur, la France n’a pas opéré le retour sur elle-même demandé. La déchristianisation se poursuit, symbolisée par le travail du dimanche et l’abandon de la pratique religieuse, ce qui lui vaudra de nouveaux châtiments que Marie peine à conjurer : « Le bras de mon Fils est si lourd que je ne puis plus le retenir ; je suis chargée de le prier sans cesse pour vous, pour vous qui en faites si peu de cas… » Et d’annoncer, outre la disette due à la maladie de la pomme de terre, la destruction de Paris et Marseille, capitales des vices de la modernité. Que ces villes soient encore là, à l’instar de Ninive, ne prouve pas l’inexistence de l’apparition de La Salette, mais l’effet de la prière qui conjure pour un temps les punitions annoncées.
Rechristianiser le temps et l’espace
Les 18 apparitions de Lourdes, entre le 11 février et le 16 juillet 1858, s’inscrivent dans la même logique. En réclamant un sanctuaire et des processions, Notre-Dame veut rechristianiser le temps et l’espace. Et en appelant, comme elle l’a déjà fait rue du Bac à « la prière et la pénitence », elle montre les seuls remèdes à même de conjurer les périls. Quant à la dimension politique du message, il tient dans sa façon de se présenter : « Je suis l’Immaculée Conception. » Ce qui cautionne le choix du bienheureux Pie IX, en proclamant le dogme en 1854, d’opposer le contre-modèle de l’homme racheté, sujet de la Cité de Dieu, au citoyen de la cité de ce monde, prétendument « né bon », donc préservé du péché originel. Ce sera, curieusement, l’aspect des apparitions de Lourdes le moins compris et le moins mis en œuvre…
Faute de pénitences et prières suffisantes, le désastre de 1870, avec l’humiliante défaite militaire, l’invasion des deux-tiers du pays, le siège de Paris, puis la Commune, apparaissent à l’opinion catholique le vrai début des châtiments annoncés à un pays qui refuse de se repentir et répand ses erreurs à travers le monde.
« Mon Fils se laisse toucher »
L’apparition de Pontmain, le 17 janvier 1871, prend alors sa pleine valeur de promesse. Marie ne va pas renverser le sort des armes et donner la victoire à une France qui ne la mérite pas mais mettre un terme à la guerre et son cortège de souffrances. Reste qu’il y a un prix à payer. L’aîné des jeunes voyants, Eugène Barbedette, du haut de ses 12 ans, ne s’y méprend pas. Reprenant le message de la Dame inscrit dans le ciel – « Mais priez mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher » –, il dit aux adultes qui crient « la guerre va finir ! » : « Oui, mais priez. »
Marie ne redira rien d’autre en 1873 à Saint-Bauzille de la Silve dans l’Hérault, à Pellevoisin en 1876. L’unique remède aux malheurs des temps tient en ces mots : prière et pénitence.