La Révolution française eut comme moteur principal la désacralisation, celle de la monarchie et celle du clergé. Logique implacable qui connut un développement par étapes de 1789 jusqu’en 1799 et qui eut pour but un anéantissement complet du fait religieux dans le pays.
Un tel acharnement ne fut pas improvisé et s’explique, bien en amont, par une évolution des mœurs et des idées sous l’influence des philosophes comme Voltaire, des loges, des libertins comme Sade, des jansénistes et de tous ceux qui rêvaient d’un ordre nouveau. Il faut également regarder au-delà des frontières, dès 1780, pour découvrir des influences marquantes qui inspireront les révolutionnaires français en ce qui regarde la politique anticléricale.
L’influence de Joseph II d’Autriche
Si tout le clergé, de façon générale, fut la bête noire, les ordres religieux actifs et contemplatifs focalisèrent sur eux la haine et la violence, ceci dès 1763 en France avec l’expulsion des jésuites, puis 1773 avec la suppression de la Compagnie de Jésus par le Saint-Siège. Ce coup d’essai réussi, il suffisait de poursuivre l’œuvre de destruction en saisissant toutes les opportunités possibles.
L’empereur Joseph II d’Autriche en 1781 signa une résolution qui marqua profondément les autres pays européens : suppression dans ses États des ordres religieux « qui ne font pas l’école, ne soignent pas les malades et ne s’appliquent pas aux études », précisant que « la monarchie est trop pauvre et trop arriérée pour qu’elle puisse se permettre le luxe d’entretenir des paresseux. L’État a besoin de prêtres vertueux, cultivés, qui enseignent l’amour du prochain et non pas de va-nu-pieds et de loqueteux » et que « les ordres qui ne servent en rien au prochain ne peuvent être agréables à Dieu ». Il enfonce le clou en parlant des moines comme d’« individus à tête tonsurée que le menu peuple vénère à genoux et qui ont pris sur les sentiments des citoyens une influence telle que rien n’a pu faire une aussi forte impression sur l’esprit humain ». Sept cents monastères de ses royaumes, possédant le tiers des terres, furent ainsi fermés et les trente mille religieux et religieuses en furent chassés. Le mouvement était en marche.
Persécution et exécution
Les révolutionnaires copièrent aussitôt ce modèle du joséphinisme, en invoquant des raisons identiques. Dès le 28 octobre 1789, les vœux et le recrutement monastiques furent suspendus. Le 13 février 1790, les ordres contemplatifs sont supprimés. Le 3 septembre 1790, les vœux monastiques sont abolis. Le 17 août 1792, tous les couvents sans exception sont évacués et le 18 août, toute vie religieuse commune est proscrite. Alors pourront commencer la persécution physique et l’exécution de tous ceux qui résistent, comme les Carmélites de Compiègne. Huit mille prêtres, religieux et religieuses vont ainsi périr sous la guillotine ou dans des massacres.
Écrits satiriques
Le Siècle des Lumières n’avait cessé de préparer les esprits à cette violence en multipliant les écrits satiriques et blasphématoires sur la religion et notamment sur les moines et les moniales censés résumer tous les vices. Le clergé régulier et les religieuses cloîtrées ont été maltraités dans leur image par des décennies de libelles, de pamphlets, de chansons paillardes, de rumeurs. L’exemple le plus éminent, comme un aboutissement, est l’ouvrage de Denis Diderot, La Religieuse, achevé en 1780 et publié aussitôt sous forme de feuilleton. Prétextant un fait réel, – celui de la religieuse Marguerite Delamarre qui avait intenté un procès pour être relevée en vain de ses vœux en 1758 –, le philosophe dressera le tableau d’une vie contemplative hypocrite, débauchée, perverse, et il érigera comme guide suprême la liberté. Les révolutionnaires se serviront de cet argument pour supprimer les couvents contemplatifs censés être des prisons.
Autant le clergé séculier est très présent dans la Constituante de 1789, autant le clergé régulier est-il mal représenté. Quant aux ordres féminins, ils n’ont évidemment aucune voix au chapitre. C’est d’ailleurs de leur sein que les plus poignants témoignages de foi surgiront, même si, globalement, beaucoup de contemplatifs et de contemplatives acceptèrent les nouvelles mesures.
Une faible opposition
Quelques voix s’élevèrent pour dénoncer ces lois, mais en utilisant les principes révolutionnaires, comme l’évêque de Clermont-Ferrand déclarant le 11 février 1790 à la Constituante : « Ce que je ne crois pas légitime dans l’usage de cette autorité, c’est qu’elle rompt seule les barrières qu’elle n’a pas placées ; c’est que, sans le concours de l’Église, elle accorde la liberté à des hommes qui se sont librement engagés. » Et le député Antoine Barnave de lui répondre : « Il suffit que l’existence des moines soit incompatible avec les besoins de la société pour décider de leur suppression. » À ce stade, les moines et religieuses qui quittent le cloître reçoivent alors une pension, et les plus tièdes, surtout parmi les Frères et les Sœurs convers, – moins parmi les moines et moniales de chœur –, se retrouvent dans le monde – seulement deux moines sur quarante, à Cluny, choisirent de demeurer fidèles à leur engagement. L’opinion publique admet l’abandon et la fermeture des abbayes et des couvents car nourrie par les journaux favorables aux maîtres du temps. Fin 1793, les ordres religieux, y compris les hospitaliers et les enseignants, ont complètement disparu en France. Il faudra attendre le concordat de Bonaparte pour que se refondent certaines congrégations féminines, dont des contemplatives. Ce sera plus lent et plus laborieux pour les ordres masculins.
Unique obéissance à Dieu
Sous couvert de liberté, la Révolution s’attaqua avec un soin particulier à la vie cloîtrée, tellement étrangère à ses principes. Elle ne pouvait accepter que des êtres puissent s’engager dans une unique obéissance, celle envers Dieu, sans participer au bien commun matériel. Elle ne pouvait regarder les consacrés que comme des parasites, durcissant en cela ce qui était déjà dans l’air du temps depuis presque un siècle.
Si la plupart des réguliers hommes et femmes épousèrent les idées révolutionnaires ou s’inclinèrent devant elles par lâcheté, leur faiblesse et leur trahison furent rachetées par les martyrs et par d’autres religieux, comme le jésuite Barruel, qui devinrent les guides intellectuels et religieux de la contre-
révolution et qui permirent, au moment de l’Empire et de la Restauration, de faire renaître, à partir de rien, les ordres religieux actifs et contemplatifs. L’Église en France, par cette persécution, fut purifiée et les âmes contemplatives furent en grande partie le levain dans la pâte.