Ce combat n’a pas pris une ride. Œuvrer à la défense d’une école libre et authentiquement catholique pour le bien des familles – cellules de base de la nation – a toujours été l’un des chevaux de bataille de France Catholique. Une longue bataille contre l’idéologie de la gauche antireligieuse, dont le but, depuis les Lumières, est d’« organiser l’humanité sans Dieu » – comme le confia Jules Ferry à Jean Jaurès.
En 1940, Jean Mora – de son vrai nom Marie-Rose Bouchemousse, religieuse des Filles du Cœur de Marie, et secrétaire de la FNC – dénonce « la maçonnerie et le socialisme […] associés pour promouvoir » l’école unique et mettre fin à l’enseignement catholique, afin d’établir « un moule plus uniforme et plus contraignant, apte à façonner les futurs électeurs, la laïcisation complète des institutions et des âmes », pour « construire la cité socialiste » (FC n° 673, 15 décembre 1940).
La loi Debré de 1959 apaise les tensions en accordant des moyens financiers à l’école libre, mais le combat ne s’arrête pas là. En 1968, en plein débat sur la réforme de l’orientation scolaire, Jean de Fabrègues, directeur de France Catholique de 1957 à 1969, défend la liberté d’éducation, dont ce projet tend à priver partiellement les parents. « C’est de l’avenir du pays qu’il s’agit puisque d’abord toute vie sociale est à l’image de ce qu’est la cellule familiale. […] Un pays où cette liberté s’étiole ou disparaît a perdu la source et le rempart de toute liberté » (FC n° 1102, 12 janvier 1968).
Le mouvement pour l’école libre de 1984 représente le sommet de cette lutte. Ministre de François Mitterrand, Alain Savary présente un projet de loi visant à créer un « grand service public » de l’éducation. Le 24 juin, 2 millions de Français défilent à la Bastille, officiellement soutenus par les évêques. « Des millions de pas pour la liberté », titre France Catholique le 29 juin. « Une société civile s’est révélée [qui] à coup sûr tient à sa liberté », écrit Robert Masson, directeur du magazine. François Mitterrand annonce le retrait de ce projet le 14 juillet, le gouvernement de Pierre Mauroy tombe. Une victoire pour les catholiques de France. « À l’évidence, le pouvoir lève le camp devant la poussée d’une opinion qu’il avait sous-estimée mais qu’il ne peut ignorer », écrit encore Robert Masson (n° 1962, 20 juillet 1984).
Mais en 1992, le ministère de l’Éducation nationale et l’Enseignement catholique signent les accords Lang-Cloupet, pour régler la dette de l’État liée au forfait d’externat – 1,8 milliard de francs. « Cet accord jugé historique par ses signataires, Jack Lang et le Père Max Cloupet, ne satisfait pas les revendications de l’enseignement catholique », rappelle France Catholique (n° 2360, juin 1992). Surtout, il se révélera très contraignant pour les établissements sous contrat, dont les enseignants sont recrutés sur les mêmes critères que ceux du public (n° 3870, 20 septembre 2024).
La querelle scolaire n’est pas moins vive à l’intérieur de l’Église, en raison de la remise en cause du principe d’une école libre par de nombreux clercs et laïcs. En 1957, le chanoine Vancourt dénonce l’existence d’un puissant « front intérieur » contre l’enseignement libre, déplorant que « beaucoup de catholiques n’y croient plus » et « le déclarent inutile ». Pourtant, rappelle-t-il, « la franc-maçonnerie et le communisme mettraient-ils tant d’acharnement à lutter contre l’école libre » si elle « n’était point un des moyens les plus efficaces de faire persister la foi chrétienne dans un pays » ?
Le combat interne à l’Église
Sous cette impulsion mortifère, l’enseignement catholique se dénature lentement, suivant l’évolution de la société. En pleine « révolution » de 1968, le Père Jean Daniélou – nommé cardinal en 1969 – s’inquiète de cette dégradation et appelle de ses vœux « une formation humaine qui rende la foi possible ». Ce jésuite, fils de Madeleine Daniélou, fondatrice d’établissements scolaires catholiques d’excellence, a consacré son ministère à l’enseignement. Il n’est pas possible, écrit-il, de « séparer la culture humaine de la formation chrétienne », rappelant l’importance du « climat intellectuel des disciplines fondamentales ».
Un an plus tard, en 1969, le théologien Louis Bouyer, converti du protestantisme, prend la plume à son tour : « S’il est un domaine où la cité engage son avenir, c’est bien l’école [qui] forme des hommes. » Il qualifie d’historique une déclaration de l’Assemblée plénière de l’épiscopat français sur l’éducation et la foi : « Le caractère propre de l’école catholique [est] de lier dans le même temps et le même acte l’acquisition du savoir, la formation de la liberté, l’éducation de la foi », insistent les évêques. Appelant à ne pas aller vers la « déconfessionnalisation » de l’école. Pour les successeurs des Apôtres, « l’école […] doit rester chrétienne ». On ne saurait changer une ligne pour notre époque.