Pourquoi si peu d’échos chez nous sur ce qui se passe au Burkina Faso, avec des massacres à répétition, où plusieurs centaines de chrétiens sont tués par des groupes de djihadistes qui manœuvrent dans le pays sans qu’une riposte armée sérieuse leur soit opposée ? J’avoue qu’à chaque fois que j’apprends la nouvelle d’un attentat contre ces populations civiles désarmées, j’en suis vivement touché. J’ai habité un an dans ce pays, durant un service militaire au titre de la coopération. Instituteur en classe de CE2, j’ai eu jusqu’à soixante élèves dont j’ai gardé le meilleur souvenir. Durant cette période qui a suivi les indépendances des années 1960, la paix régnait, y compris entre les diverses communautés religieuses. Je ne me rappelle d’aucun accrochage sérieux entre la majorité catholique et la minorité musulmane du gros village où je résidais. J’avais d’ailleurs plusieurs musulmans dans ma classe. Ils n’étaient pas distincts des autres et ne subissaient aucune avanie de leur part.
Chasse aux chrétiens
Que s’est-il donc passé ces dernières décennies, pour que le Burkina s’enflamme avec toute la région ? Il ne faut pas oublier que le Nigeria, le grand pays anglophone voisin, est lui-même la proie d’une chasse aux chrétiens qui a fait d’innombrables victimes. Il n’y a qu’une seule explication à cet embrasement de l’Afrique de l’Ouest : le développement d’un mouvement djihadiste de grande ampleur, et surtout de nature terroriste, qui ne craint pas d’employer les pires moyens pour terrifier les populations. S’il convient de ne pas jeter l’opprobre sur tous les musulmans, dont beaucoup sont d’ailleurs victimes des mêmes exactions, il faut bien convenir que c’est l’islam qui se trouve impliqué dans une vaste crise intérieure, où ce sont les éléments les plus extrémistes qui ont pris le dessus, dans une logique de suprématie totalitaire.
Moscou et Pékin à la manœuvre
Parallèlement, il faut comprendre comment cette Afrique de l’Ouest a changé complètement d’orientation politique, prenant des distances radicales avec l’ancienne puissance coloniale. Cela s’est notamment traduit par le départ forcé des armées françaises. De Centrafrique en 2015, du Mali en 2022, du Burkina Faso en 2023. Des régimes militaires se sont établis dans ces pays, dont le premier souci est de prendre toute leur distance avec la France. Mais la place n’est pas restée vide. Comme l’explique Stephen Smith dans un entretien au Figaro du 22 octobre, c’est la Russie et la Chine qui se sont imposées auprès des autorités locales. La Russie sur le terrain militaire, la Chine sur le terrain économique : « Moscou fournit à certains régimes la coopération militaire dont les autocrates ont besoin, en gros une garde présidentielle et des mercenaires. »
Mais il ne faudrait pas croire que cette aide se substitue à la mission que nos armées poursuivaient encore récemment au service de la sécurité des populations.
Bien au contraire ! Et ce que Stephen Smith explique à propos du rôle de ceux qui nous ont remplacés a de quoi glacer le sang : « Il n’y a pas à jalouser la Russie quand elle loue ses bras armés à des juntes sahéliennes, qui massacrent autant de civils que les djihadistes en face. » Quant à la Chine, « elle prend en Afrique la place qui correspond à son statut d’atelier du monde ». Ce qui renvoie à une puissance économique et commerciale qui n’a cessé de se développer ces dernières décennies au point de la placer au tout premier rang, en rivalité avec les États-Unis.
La fin de la « Françafrique »
Ce constat nous place devant des évidences qui font mal. Nous avons perdu l’influence qui était la nôtre depuis les indépendances. Sans doute celle-ci était-elle critiquable lorsqu’elle prenait la forme de ce qu’on appelait Françafrique. Mais ce qui s’est substitué à la Françafrique n’a pas tourné à l’avantage des Africains. Et nous avons tout à craindre de cet Ouest africain en pleine déstabilisation, où les chrétiens – les catholiques d’abord – vivent sous menace continuelle, sans vraie protection.