Autant Nîmes est une ville impériale, autant Avignon est une ville pontificale.
Le Palais des papes, au centre de la vieille ville, est le symbole de la cité – cité de contrastes où, dès les derniers siècles du Moyen Âge sous le gouvernement des papes français, elle fut le siège des dévotions les plus pures, et parfois les plus austères, comme d’une licence qui pouvait confiner à la débauche.
Frédéric Mistral situe dans Avignon l’intrigue de son conte Nerte, qui s’achève à Arles. Nerte, jeune fille vendue au diable par son père, vient demander au pape de la relever de cette malédiction. Le Souverain pontife décide de l’emmener au carmel d’Arles, seul moyen de la sauver. Le neveu du pape tombe amoureux de Nerte et, pour être sûr de la conquérir, fait alliance avec le Malin. On apprend que c’est dans les caves du Palais des papes que ce neveu a appris toute la science diabolique en étudiant les traités de démonologie… Finalement, l’amour aura raison de la puissance du diable mais il y faudra le secours de la Croix.
Avignon a-t-elle perdu son âme ?
Les habitants actuels d’Avignon souffrent de la désertification du centre-ville transformé en un gigantesque complexe d’Airbnb. La musique d’Avignon est aujourd’hui composée du bruit des roulettes des valises de touristes qui, périodiquement, l’envahissent. Selon le témoignage que j’ai reçu, c’est le festival qui a fait la richesse mais aussi la mort d’Avignon, permettant aux hôtels et aux restaurants de faire leur chiffre d’affaires annuel en un mois, mais supprimant par là-même toute autre activité. Un matérialisme, que Marx aurait appelé vulgaire, s’est ainsi installé et une municipalité très sensible aux modes du temps, socialiste et écologiste, a fait de cette ville une petite capitale provinciale de bobos. Avignon aurait-elle perdu son âme ?
Mais c’est ici le lieu de rappeler les vers de Mistral dans son Hymne à l’âme de la Patrie qui ouvre le poème Calendal : « Car les ondes des siècles et leurs tempêtes et leurs éclairs ont beau mêler les peuples, écraser les frontières, la terre mère, la nature, nourrit toujours sa progéniture du même lait. Sa pousse dure à l’olivier donnera toujours l’olive fine. »
Le centre d’Avignon, le Palais des papes, le rocher des Dombs, les remparts défient les siècles et les invasions. Il suffit aux Provençaux de retrouver l’âme de la Provence. Mistral leur en a donné le trésor. Encore une fois, il réside dans l’Histoire : les pays de langues d’oc, la Provence latine ont connu non seulement l’empire mais aussi la papauté.
La langue, clé de la liberté
À la fin du XIIIe siècle, la langue provençale était si noble que Dante hésita à écrire sa Divine Comédie dans cette langue. Il finit par choisir le toscan et créa ainsi l’italien, puis l’Italie. Sa muse Béatrice comme Laure, muse de Pétrarque, avait habité Avignon !
« Qui tient sa langue, tient la clé de sa liberté », disait encore Mistral. Il appartient aux Provençaux de retrouver leurs racines et la clé de leur liberté. L’école de la République a fait la guerre au provençal, mais Mistral et le Félibrige lui ont rendu ses lettres de noblesse. Le grand poète avait prévu le désastre actuel, il le voyait venir avec ce qu’il appelait « le déluge universel » de la Première Guerre mondiale qui s’annonçait. À la veille de sa mort, en 1914, il envoya dans le ciel le trésor de son œuvre, trésor de la Provence, espérant que, dans les générations qui suivraient, quelques-uns iraient le chercher. L’heure est peut-être venue pour les générations nouvelles de trouver ce trésor et d’en faire leur aliment pour reconquérir la Provence.
Renaissance provençale
Dans L’Ode à la race latine, que Mistral prononça dans les jardins du Peyrou à Montpellier, le poète décrit la Méditerranée comme « la mer lumineuse qui, comme une ceinture, doit lier les peuples bruns ». Le terme provençal que Mistral emploie pour « ceinture » est cencho. C’est un terme de marins-pêcheurs. Lorsqu’ils s’en vont à deux ou trois cents barques pour pêcher le thon, ils naviguent en cencho. Cette ceinture est donc active et tend à lier les peuples pour une œuvre commune. Dans la conclusion de cette ode, Mistral appelle « la race latine à s’élever vers l’Espérance et à fraterniser sous la Croix ». C’est donc sur ces deux mouvements de souvenir d’une immense histoire et d’élan vers l’Espérance que peut se fonder une vraie renaissance provençale qui appellera tous les peuples qui se trouvent en Provence à fraterniser sous la Croix.
Capitale de la Provence
Quand on disait à Frédéric Mistral que le cours du temps et des siècles rendait illusoire son projet, il répondait en se levant doucement du divan où il était allongé pour sa sieste : « Et s’il ne me plaît pas à moi que les choses aillent ainsi ? » et il opposait sa volonté et celle de ses amis à ce cours du temps soi-disant inexorable.
Aujourd’hui, même pour les plus ignares, la Provence n’est pas autre chose que la patrie de Frédéric Mistral. Avignon était sa capitale. Il ne dépend que des Avignonnais qu’elle le redevienne.