L’Église peut-elle être démocratique ? - France Catholique
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Le Liban chrétien
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L’Église peut-elle être démocratique ?

On ne met pas la Révélation aux voix. Mais les laïcs sont fondés à interpeller leurs pasteurs sur des sujets graves.
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La démocratie ? De nos jours, à tout propos, l’essentiel est de dire qu’on est pour et qu’il en faut plus. L’Église ne fait pas exception. Mais que veut-on dire par là ? Ce n’est pas clair. Or cette confusion, justement, peut être dangereuse. Certains, benoîtement, entendent par-là que les laïcs devraient pouvoir déplier trois tables et vingt chaises dans la salle paroissiale sans demander l’autorisation à monsieur le Curé. Mais d’autres, sans doute moins benoîts, souhaiteraient mettre aux voix la foi et les mœurs. Quelques rappels ne seront sans doute pas inutiles.

L’Église, corps mystique du Christ

Partons d’une définition simple de la démocratie, celle qu’on trouve dans la Constitution de la Ve République (art. 2) : « Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. » Veut-on dire, donc, que l’Église – peuple des fidèles – devrait être gouvernée par le peuple des fidèles, pour le peuple des fidèles, à la façon d’une sorte de coopérative autogérée ? À ce compte-là, les fidèles devraient sans doute pouvoir décider, au cours d’innombrables « AG », du Credo, du catéchisme, du Code de droit canonique, de la liturgie, etc.

Le problème est que l’Église n’est pas une coopérative autogérée. Elle est le corps mystique du Christ, dont la tête est Jésus-Christ, représentée sur terre par le successeur de saint Pierre. Elle n’est d’ailleurs pas composée seulement de ses membres visibles – l’Église militante – mais aussi de ces membres invisibles que sont les âmes du Purgatoire – Église souffrante – et les Élus – Église triomphante.
En tant qu’institution visible, l’Église n’a pas été créée par ses membres, mais par sa Tête : le Christ a choisi douze apôtres, parmi lesquels il a nommé un chef – Pierre – chargé d’affermir ses frères dans la foi. Et, à eux tous, il a confié la triple mission d’enseigner, de sanctifier et de régir spirituellement le peuple de Dieu, pour le salut des âmes. L’Église a donc une structure hiérarchique, divinement instituée. On peut dire, sans la moindre provocation, qu’elle est une monarchie absolue de droit divin.

Monarchie parce qu’en dernière instance, c’est le pape qui décide de l’interprétation orthodoxe de la Révélation en matière de foi et de mœurs, engageant là-dessus son infaillibilité. Absolue parce que l’Église est indépendante de tout pouvoir temporel – ab-solutus veut dire « libre », et non « arbitraire » comme on le croit souvent. De droit divin, parce que la fonction du pape n’a pas été instaurée par les hommes mais par Jésus-Christ lui-même : c’est de Dieu qu’il tire sa légitimité, son autorité.

Dans la mesure où l’activité fondamentale de l’Église visible est d’enseigner la Bonne Nouvelle et d’administrer les sacrements – pas de gérer un bien temporel –, on voit mal où les fidèles pourraient intervenir pour légiférer par eux-mêmes : tout, en ces matières, est reçu de Dieu. La vérité éternelle révélée de Dieu ne saurait se modifier par expression d’un suffrage majoritaire. Le pape lui-même ne peut pas modifier la doctrine, son rôle étant de la conserver : il peut juste l’expliciter, dans le respect de l’Écriture et de la Tradition. Un pape révolutionnaire est une contradiction dans les termes.

Est-ce à dire que cette monarchie spirituelle soit totalement centralisée, et que ses membres soient des sujets passifs et dépourvus de toute marge d’initiative ? Non, et même trois fois non.

Premier point : l’Église, pour être monarchique, n’en est pas moins un régime mixte : elle comporte des aspects aristocratiques – les princes de l’Église, assistés de l’Esprit Saint, élisent le chef de l’Église – et démocratiques ou du moins collégiaux : les grandes décisions dogmatiques, les grandes orientations pastorales, sont préparées par des conciles. Elles n’ont certes de valeur définitive que ratifiées par le Souverain pontife, mais le successeur de Pierre ne saurait être indifférent à la majorité des successeurs des apôtres, dont il est le primus inter pares. Pie IX pratiqua un référendum auprès des évêques avant de promulguer le dogme de l’Immaculée Conception.

Deuxième point : le peuple des fidèles n’est pas un peuple d’enfants. Les laïcs ont des droits très étendus : si la foi, les mœurs, les sacrements et la liturgie sont reçus de Dieu, tout le reste, si l’on peut dire, est à leur main. Ou devrait l’être. Apostolat, évangélisation, action sociale… Les laïcs n’ont pas besoin de mandat pour être en mission dans la société (can. 211). Ce n’est pas pour rien que l’Église a inventé le principe de subsidiarité, dont Pie XII lui-même disait qu’il devait s’appliquer à la vie interne de l’Église : « Que l’on confie au laïc les tâches qu’il peut accomplir, aussi bien et même mieux que le prêtre, et que, dans les limites de sa fonction ou celles que trace le bien commun de l’Église, il puisse agir librement et exercer sa responsabilité » (Discours sur l’apostolat des laïcs, 1957). C’est dans cet esprit que le Code de droit canonique a été révisé en 1983, dans la foulée du concile Vatican II, partant du principe qu’« il y a entre tous les fidèles une véritable égalité en ce qui concerne la dignité et l’action dans l’édification du Corps du Christ » (can. 208).

Quand saint Paul reprit saint Pierre

Troisième point : les fidèles ont non seulement le droit de faire part de leurs besoins aux autorités hiérarchiques (can. 212 §1), mais encore de les interpeller sur des sujets graves : « Ils ont, dit le Code, le droit, et parfois même le devoir, de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église. » Saint Thomas d’Aquin, commentant l’épisode où saint Paul reprit vertement saint Pierre (Ga 2, 11), allait jusqu’à écrire la chose suivante : « S’il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, qui était soumis à Pierre, l’a-t-il repris pour cette raison. Et comme dit le commentaire de saint Augustin, “Pierre a donné lui-même un exemple à tous ceux qui sont constitués en dignité pour que, s’il leur arrivait de s’éloigner du droit chemin, ils n’aient pas honte de se faire corriger par des inférieurs” » (Somme théologique II-II 33, 4, ad 2). Ainsi comprend-on que l’Église est une monarchie dont les sujets sont des hommes libres, qui participent eux aussi, à leur façon, au sacerdoce royal de Jésus-Christ !