Il aura fallu trois mois pour avoir un Premier ministre, trois semaines pour qu’il forme un nouveau gouvernement. Il n’y avait aucune urgence pour la France, et soudain, la précipitation est de mise face aux lois sociétales : Gabriel Attal, inquiet, somme Michel Barnier de lui donner des garanties. Le Premier ministre, qui devait faire sa déclaration de politique générale le 1er octobre, lui a déjà répondu vouloir faire « rempart pour qu’on préserve l’ensemble de ces droits acquis »…
Sur la fin de vie, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a annoncé son empressement pour « réinscrire rapidement à l’ordre du jour » la loi fin de vie, et souhaité que ce texte « soit réexaminé à l’Assemblée nationale avant la fin de l’année ». Pour être sûr et certain de gagner du temps, le rapporteur général sous la précédente législature Olivier Falorni, député Modem de Charente-Maritime, a déposé une nouvelle copie de ce texte dès sa réélection en juillet.
« Méconnaissance de ce texte »
Alors que le funeste projet de loi du gouvernement avait été rendu caduc par la dissolution, c’est désormais une proposition de loi relative à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, qui a été jugée recevable ce 23 septembre.
Signée par 166 députés issus de neuf groupes différents, mais majoritairement rejetée par la droite, elle ne cache pas ses intentions : « Poursuivre le chemin brutalement interrompu par la dissolution et qui devait aboutir au vote. » À ceux qui se réjouissaient de voir ce projet mort et enterré, les idéologues répondent par ce pied de nez : « Tant de travaux, tant d’échanges, tant d’auditions, tant de délibérations ne pouvaient pas être jetés ainsi aux orties. »
Tous les amendements votés avant l’interruption des débats sont donc intégrés au nouveau texte.
Or prévient Justine Gruet, députée LR du Jura, et membre de la commission spéciale sur le projet de loi sur l’accompagnement des malades en fin de vie lors de la précédente législature : « C’est un peu biaisé car ce ne seront plus les mêmes députés. Il n’y avait plus forcément une majorité favorable au texte tel qu’il avait été amendé, certains revoyaient leur jugement. » Et pour cause, des garde-fous avaient sauté : notion de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme », demande d’euthanasie inscrite dans les directives anticipées, rejet du délit d’incitation à l’aide active à mourir, et création de celui d’entrave à l’aide à mourir. Vice-présidente de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti, Justine Gruet souligne la « méconnaissance de ce texte. Si nous demandons aux gens s’ils ont envie de souffrir en fin de vie, nous aurons tous la même réponse. Par contre, si nous leur demandons si la France doit se doter d’un meilleur accompagnement permettant à chacun de rester à domicile s’il le souhaite, et de mettre en place des soins palliatifs, la réponse n’est pas la même ».
Ni liberté, ni égalité, ni fraternité
Où se situe l’urgence d’une telle loi si ce n’est l’instrumentalisation d’un débat au nom d’une unité de façade d’un Parlement émietté ? « L’urgence absolue est de rendre l’accès aux soins palliatifs en France, nous répond Philippe Juvin. Si cette urgence n’est pas remplie, je crains qu’une loi sur l’euthanasie ou le suicide assisté s’applique par défaut. » Le député LR des Hauts-de-Seine et chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou s’insurge : « Alors que l’on connaît les dysfonctionnements du système de santé et les difficultés à légiférer de cette nouvelle Assemblée, si la seule ou première loi santé était celle-ci, ce serait un très mauvais signal donné aux soignants et aux malades. Mais quand il n’y a pas de raison, il y a de la passion. C’est symptomatique d’une époque qui a du mal à définir une priorité et apporte une solution qui n’en est pas une. »
Car selon le député, et tous les soignants l’attestent : « Les demandes d’euthanasie disparaissent quand vous apportez des réponses. » Pour Philippe Juvin, « cette loi est la traduction d’un mouvement de fond très individualiste, d’une fascination pour la performance, d’une dépréciation de la vieillesse, d’une crainte de la mort et d’une volonté de tout maîtriser. Elle renvoie l’idée qu’il y aurait des vies qui valent la peine d’être vécues et d’autres pas ».
Alors que cette proposition de loi se veut « une grande loi de liberté » – celle de disposer de sa mort –, « d’égalité » – ne plus avoir à se rendre à l’étranger pour « éteindre la lumière de son existence » (sic) –, et « de fraternité » – pour accompagner chacun « jusqu’au bout du chemin » –, Philippe Juvin réfute ces arguments un à un : « Est-on libre de choisir l’euthanasie quand on n’a pas accès aux soins palliatifs ou que l’on est totalement isolé chez soi ? La fin de vie est bien plus compliquée qu’en étant entouré et aimé. Il n’y a ni liberté ni égalité. Quant à la fraternité, elle devrait permettre que nous ne soyons pas seuls au dernier moment. Or, la société étant incapable de vous assurer que quelqu’un vous tiendra la main, elle va vous assurer une injection létale. C’est une loi anti-fraternelle puisque les gens sont abandonnés à une facilité technique. » Voilà pourquoi le député se réserve la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de la fraternité si cette loi passait.
La position du Rassemblement national pourrait être, décisive. Hervé de Lépinau, député RN du Vaucluse nous affirme que l’euthanasie constitue pour Marine Le Pen « une ligne rouge civilisationnelle infranchissable ». En cas de présentation de ce texte, celui qui était aussi membre de
la commission spéciale déposerait un amendement visant à scinder les deux parties (soins palliatifs et euthanasie) afin de pouvoir soutenir l’une et s’opposer à l’autre.
Niche parlementaire
Si nul ne sait se prononcer sur le calendrier à venir, deux options sont possibles : soit la proposition arrive à l’occasion de la niche parlementaire du groupe qui porte ce texte, soit elle peut arriver dans les semaines transpartisanes à l’initiative du Parlement. « Si la présidente y est favorable, potentiellement cela peut se passer ainsi », explique Justine Gruet.
Gageons qu’un sursaut d’humanité prime sur le dogmatisme de ces déconstructeurs et promoteurs d’une culture de mort. Encore faut-il, conclut Philippe Juvin que « les débats soient basés sur des vérités, pas des sentiments ».