François, un pape littéraire - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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François, un pape littéraire

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© Annett Klingner / Pixabay

Faut-il s’étonner qu’un pape, détenteur du magistère de la foi, marque un tel intérêt à l’égard de la littérature ? Ne s’agit-il pas de ce qu’en un autre temps, on aurait désigné comme profane, à distinguer soigneusement du religieux ? Tel n’est pas du tout l’avis de François, qui consacre toute une lettre au « rôle de la littérature dans la formation ». Il avait d’abord pensé à la formation proposée aux seuls séminaristes, mais sa réflexion l’a amené à élargir les perspectives à tous les agents pastoraux, ainsi qu’à tous les chrétiens. On pourrait même dire au commun des mortels, puisque le début du texte évoque le bienfait humanisant de la culture, pour chacun : « Une œuvre littéraire est donc un texte vivant et toujours fécond, capable de parler à nouveau de multiples façons et de produire une synthèse originale avec chaque lecteur qu’elle rencontre. Dans la lecture, le lecteur s’enrichit de ce qu’il reçoit de l’auteur mais cela lui permet en même temps de faire fleurir la richesse de sa propre personne, de sorte que chaque nouvelle œuvre qu’il lit renouvelle et élargit son univers personnel. »

Perspective culturelle, indépendante de toute vision de foi ? Absolument pas car, selon un théologien averti, René Latourelle, que cite le pape: « La littérature jaillit de la personne dans ce qu’elle a de plus irréductible, dans son mystère […]. Elle est la vie qui prend conscience d’elle-même, lorsqu’elle atteint la plénitude de l’expression, en faisant appel à toutes les ressources du langage. » Il ne peut y avoir de séparation entre ce mystère et ce que la Révélation nous apprend des profondeurs de l’âme et du cœur. Ce que souligne fortement le pape : « Comment pouvons-nous parler au cœur des hommes si nous ignorons, reléguons et ne valorisons pas “ces mots” avec lesquels ils ont voulu manifester, et pourquoi pas révéler, le drame de leur vie et de leurs sentiments à travers des romans et des poèmes. »

Valeur de la littérature classique

Une telle conviction n’est nullement récente dans l’histoire du christianisme. Elle est présente chez les Pères de l’Église. Tel est le cas de Basile de Césarée qui, dès le IVe siècle, « exaltait la valeur de la littérature classique […] tant en raison de son argumentation, les “discours”, à utiliser en théologie et en exégèse, qu’en raison de son témoignage de la vie, “les actes, les comportements”, à prendre en exemple dans l’ascèse et la morale. » Et François de souligner : « C’est précisément de cette rencontre entre l’événement chrétien avec la culture de l’époque qu’est née une réélaboration originale de l’Évangile. »

Sans doute y a-t-il nécessité d’un discernement proprement évangélique pour reconnaître « la présence de l’Esprit dans la réalité humaine diversifiée ». N’était-ce pas l’attitude d’un saint Paul, citant les poètes de son temps, pour découvrir les abîmes qui habitent l’homme, tandis que le regard de la foi s’en empare pour les traverser et les illuminer ?

Loin donc de constituer un divertissement gratuit, la lecture des grands auteurs offre une connaissance concrète et approfondie de notre humanité. Et rien n’est plus précieux dans une mission d’évangélisation. Borgès, cet Argentin particulièrement cher à Jorge Bergoglio, expliquait que le grand mérite d’un ouvrage consiste « à écouter la voix de quelqu’un ». N’est-ce pas l’impératif premier de notre relation aux autres et même ultimement à Dieu ?

Cette lettre du pape n’est donc pas un document secondaire, à ajouter tel un codicille à un traité théologique. C’est une méditation approfondie qui, d’ores et déjà, suscite l’intérêt et l’admiration d’un grand spécialiste de la critique comme William Marx, du Collège de France, et d’une grande éditrice comme Françoise Nyssen. À nous d’en saisir l’opportunité.