Comment évoquer l’autorité et son rétablissement à l’école sans en rappeler au préalable la définition ? En historien et pédagogue averti – il a enseigné dans le public, puis dans le privé « post-bac » –, l’essayiste Jean-François Chemain en précise le sens : « L’autorité est d’abord une notion romaine, politico-religieuse, que l’on peut traduire par la force divine qui permet de faire grandir et de créer. Il n’y a pas, à Rome, d’autorité sans référence aux dieux. Et quand le christianisme aura gagné les cœurs, c’est du sacre et de l’onction, conférée par l’Église, que le souverain tiendra son autorité et sa légitimité » – ce que personne n’a jamais mis en cause tant que Dieu figurait au sommet de la Création et que les hommes le reconnaissaient comme un père.
Idéaux laïcs et républicains
Sommes-nous si loin de l’école ? Pas si sûr… car les révolutionnaires ayant destitué Dieu, leurs héritiers républicains ont tenté de rétablir un semblant d’autorité en attribuant à l’école le rôle que tenait auparavant l’Église : un nouveau clergé, les hussards noirs, devait former un homme nouveau – bien éloigné de celui qu’évoque saint Paul dans la Bible : le citoyen, conformé aux idéaux laïcs et républicains d’égalité et de liberté. Il faut relire Vincent Peillon, ancien ministre de l’Éducation (2012-2014) et disciple zélé de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson, pour prendre la mesure de cette ambition idéologique : « L’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi », a-t-il écrit dans La Révolution n’est pas terminée (Seuil, 2008). Avant de préciser, en 2012, que « le but de la morale laïque est d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».
On dira que l’école de la République n’a pas si mal fonctionné : elle a formé des générations d’élèves sachant lire, écrire, calculer. C’est que les instituteurs laïcs, bien que récusant Dieu mais imprégnés de l’importance de leur mission, avaient conservé les attributs traditionnels de l’autorité : « la majestas, la dignitas et la gravitas », énumère Jean-François Chemain – un comportement, une tenue, qui imposaient aux élèves le respect. C’est aussi que le savoir leur semblait un outil nécessaire à l’avènement de la République idéale.
Utopies
Mais l’apologie du déracinement devait tôt ou tard ouvrir l’école aux utopies fondées sur la haine du passé, sur le procès d’une culture présentée comme oppressive car « bourgeoise et élitiste » : c’est la thèse du sociologue Pierre Bourdieu qui continue d’imprégner l’Éducation nationale. Si « la langue est fasciste », comme le prétendait Roland Barthes, écrivain et critique littéraire, il est urgent de s’affranchir de sa grammaire et d’en modifier l’orthographe en adoptant l’écriture inclusive. Le but assigné à l’école n’est plus de transmettre le savoir mais d’assurer « l’égalité des chances »… et des genres puisque, tout se valant, il n’est plus question de fixer aucune norme, ni d’admettre aucune hiérarchie. Il s’agit de laisser l’enfant s’épanouir, « exprimer sa personnalité avant même qu’elle ne soit formée », ironise Natacha Polony dans la préface d’un livre d’Albéric de Serrant, L’école asphyxiée. Or, « un homme, ça s’empêche », écrit Albert Camus dans Le Premier Homme.
Le fétiche du « collège unique »
La Rue de Grenelle s’enorgueillit des résultats au baccalauréat. Pourtant, bien que l’Éducation nationale soit le premier budget de l’État, les comparaisons internationales mesurent la baisse continue du niveau des jeunes Français : en dix ans, les résultats des élèves de 15 ans ont chuté de 19 points en compréhension de l’écrit et de 21 points en culture mathématique (enquête Pisa). Au point que Gabriel Attal avait annoncé plusieurs mesures, dont la constitution de « groupes de niveau » en mathématiques et en français, malgré l’hostilité des syndicats entichés du « collège unique ». Il avait plaidé pour le port de l’uniforme et souhaité que « les élèves se lèvent dès qu’un professeur entre dans la classe », en appelant à un « sursaut d’autorité ».
Ces mesures de bon sens, dont l’application dépendra du prochain gouvernement, relèvent à la fois de la discipline et de l’organisation de la scolarité. Mais qui peut croire qu’elles suffiront à corriger les méfaits de l’égalitarisme toujours à l’œuvre dans l’Éducation nationale ? À défaut d’attendre un sursaut de l’institution, c’est surtout dans la classe que les choses peuvent changer. En comptant sur des hommes et des femmes pénétrés de l’importance de leur mission éducative, et conscients qu’ils ont charge d’âmes : « Pourquoi pas d’anciens militaires, reconvertis dans l’enseignement où leur connaissance des hommes serait très utile ? », suggère Jean-François Chemain. En comptant aussi sur le développement d’initiatives comme la création d’écoles hors contrat véritablement libres. Albéric de Serrant en a dirigé une à Montfermeil. « L’éducateur est un gardien. Il sécurise et donne les codes. Il éveille le sens civique et celui de l’ordre. Il ne s’agit ni de dresser l’enfant, ni de le rendre craintif mais de le responsabiliser », écrit-il dans L’École asphyxiée, en soulignant l’importance du règlement de l’établissement qui doit poser clairement les consignes à respecter. Rappelant la vertu pédagogique de la « réparation » de la faute, il insiste aussi sur la disponibilité de l’éducateur : « J’étais un chef d’établissement au portail qui, le matin, souhaitait bonjour aux élèves en les appelant par leur nom. »
L’éducation est un service
Surtout, lui, comme Jean-François Chemain, disent avoir été guidés par « l’amour » de leurs élèves – ou par une forme de charité, conscients que l’éducation est un service qu’on ne peut accomplir qu’avec « enthousiasme ». Un mot dont il faut redécouvrir le sens : « Être entheos, chez les Grecs, c’est être inspiré par un dieu ou par les dieux, explique Jean-François Chemain. Quand on enseigne avec enthousiasme, on enseigne avec autorité ! » Même si la religion ne fournit plus à la société son armature, le maître, par son enthousiasme, retrouve dans sa classe le fondement religieux de l’autorité.
L’école asphyxiée, Albéric de Serrant, éd. Mame, 2022, 272 pages, 17 €.
Tarek. Une chance pour la France ?, Jean-François Chemain, éd. Via Romana, 2017, 94 pages, 9,90 €.