«Comment rendre le sens et le goût du réel aux générations transformées en éponges à médias ? », se demande Henri Pourrat, dans L’École buissonnière, en 1949. « En les dirigeant doucement vers une reconnaissance émerveillée des choses de la nature – vers le sens de tout ce qui est sous nos yeux : la Création », assure-t-il, fort de son expérience.
Après des études d’agronomie à Paris, il est atteint de la tuberculose et, pour se soigner, retourne sur ses terres natales, en Auvergne, où il restera toute sa vie, passant ses matinées à écrire et ses après-midis à marcher dans la campagne. De ce contact avec la nature, il tire une œuvre très riche. Il met par écrit des milliers de contes oraux régionaux – Trésor des Contes –, sauvant la littérature orale de France et reçoit le Grand Prix du roman de l’Académie française, pour Gaspard des montagnes, en 1931, et le Goncourt pour Vent de Mars, en 1941.
Loin de préconiser un retour au « bon sauvage » inculte, l’écrivain appelle au contraire à donner une éducation riche d’une transmission ancrée dans les belles lettres, sans en perdre de vue l’objectif : « À quoi va tout cela, toute cette recherche, philosophie, lettres, poésie, en fin finale ? Ne serait-ce pas à se trouver mieux chez soi dans ce grand monde ? » Ainsi rappelle-t-il que c’est « surtout avec la vivante nature, la Création » que l’enseignement doit permettre aux jeunes d’entrer « en amitié », pour permettre à la pensée de « toucher terre ». « Ce devrait être cela, la formation. Il faudrait non pas seulement dire, mais faire sentir. Passer sur la terrasse d’herbe verte où l’amitié peut se faire, au matin : indiquer les chemins qui y mènent, de buisson en buisson, de chose sentie en chose sentie, d’idée saisie en idée saisie. Si c’est là l’école buissonnière, peut-être cette école apprendra-t-elle à trouver, devant l’étendue, sous un églantier, ce que les heures de classe apprenaient assez peu à chercher », écrit-il dans L’École buissonnière.
« Apprendre à penser »
Une conviction partagée par son ami, l’artiste Henri Charlier, sculpteur, peintre et auteur d’essais sur l’art et l’enseignement. Il publie, en 1940, Culture, École Métier, posant les bases d’une réforme de l’enseignement ancrée dans le réel, opposée à une « formation intellectuelle amoindrie, dénaturée et séparée de la vie […] menée par des hommes sans contact direct avec la nature des choses ».
L’artiste rappelle que le but de l’enseignement est double. Il doit apprendre aux enfants à bien penser : « Que la mémoire soit pleine de connaissances innombrables amassées par les générations des hommes est tout à fait inutile si l’esprit ne sait ni les unir en idées, ni les classer », souligne-t-il. Or, « c’est sur des faits très simples que les enfants apprennent à penser », rappelle-t-il. Mieux vaut donc leur apprendre à « observer les faits plutôt que d’en bourrer leur mémoire, simplifier l’enseignement, non le compliquer ».
En homme réaliste, Henri Charlier aspire à une école en lien avec l’apprentissage d’un travail concret, pour « ouvrir aux enfants les carrières où ils gagneront leur vie » et leur permettre un « contact avec le réel tel que celui-ci se fait connaître en s’opposant à notre volonté dans l’exercice des métiers ». Il faut que les enfants « pensent d’après nature » car, dit-il, « l’avenir du pays en dépend ».
L’École buissonnière, Henri Pourrat, éd. DMM, Dominique Martin Morin, 2004, 176 pages, 15 €.
Culture, École et Métier, Henri Charlier, Nouvelles éditions latines, 2017, 228 pages, 19 €.