« En France, on considère que seul ce qui est intellectuel a de la valeur » - France Catholique
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« En France, on considère que seul ce qui est intellectuel a de la valeur »

Loin des diktats de la pédagogie moderne, déconnectés de la nature humaine, des écoles libres reviennent à un enseignement ancré dans le réel, pour offrir aux enfants une éducation unifiant corps, esprit et âme. C’est le cas du collège de l’Aurore, à Verfeil (31), fondé par Marie-Clotilde Nadrigny, avec son mari.
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Écolier travaillant le bois

© Notre-Dame de l’aurore

De quel constat êtes-vous partis pour créer une école fondée sur une pédagogie du réel ?

Marie-Clotilde Nadrigny : Dans notre travail de professeurs dans l’enseignement public, mon mari et moi – lui en Sciences et vie de la Terre (SVT) et moi en français – avons constaté que beaucoup d’enfants se trouvent en graves difficultés en raison de la méthode actuelle d’enseignement : son principe, dans toutes les matières, est de partir du global – du complexe – pour aller vers le plus simple. Or, la logique exigerait d’aller du plus simple vers le plus complexe. Cet enseignement ne fonctionne pas et laisse de nombreux élèves avec des lacunes très invalidantes pour la suite des apprentissages. Notre propre fille a rencontré de grosses difficultés à l’école primaire, au point que nous avons choisi de lui faire l’école à la maison, où tout s’est remis dans l’ordre très facilement. Cette année, elle vient d’intégrer Normale Sup, preuve que le problème ne venait pas d’elle mais bien de la manière d’enseigner.

D’où viennent les dérives actuelles de l’enseignement ?

La majorité des pédagogues, en France, sont encore inspirés par Jean-Jacques Rousseau et convaincus que l’enfant est bon par nature, en oubliant le péché originel. Cette philosophie est toujours très influente. Elle préconise de permettre à l’élève d’élaborer son propre savoir de manière empirique, sans être corrompu par la société : c’est le mythe du bon sauvage. Il est donc, selon cette pédagogie, nuisible de lui transmettre un savoir.

Depuis les années 1960, l’autre influence, qui fait des ravages, est celle du sociologue Pierre Bourdieu. Selon lui, la transmission de la culture amplifie les différences sociales et favorise une élite bourgeoise, empêchant ainsi l’égalité des chances. Mieux vaut ne plus transmettre une culture issue du passé, ce qui conduit au nivellement par le bas. C’est une idée issue de la Révolution, qui veut créer un enfant répondant à une norme idéologique d’égalitarisme. Ses héritiers sont toujours au pouvoir dans l’enseignement national.

En quoi ces deux conceptions sont-elles dangereuses pour les élèves ?

Ces deux philosophies de l’éducation, qui refusent la notion de transmission, et donc d’enseignement et d’autorité, sont une très grave erreur. Elles sont totalement déconnectées du réel car il est dans la nature de l’être humain d’élaborer une culture. L’écrivain Henri Pourrat, qui prônait l’importance de la nature dans l’éducation, disait qu’il y a « une amitié à faire avec tous les anciens, tous les philosophes, lettrés, poètes, avec tout l’effort humain, avec la grande nature, la Création ». On vit toujours dans une société et on hérite toujours de quelque chose.

L’autre danger, dans l’enseignement, est de se déconnecter de la nature, pour tout baser sur l’intellect. Une pensée déconnectée du concret va élaborer des idéologies. Nous avons besoin de deux poumons, pour une éducation équilibrée, qui ne soit pas néfaste pour l’homme : faire attention au réel, au concret, à la nature, et nous relier à l’héritage reçu de ceux qui nous ont précédés. Il faut donc absolument partir de la réalité, de ce qu’est l’enfant, pour lui apporter de ce dont il a besoin pour devenir un homme, plutôt que d’utiliser l’enfant de manière idéologique en vue de bâtir une société supposée plus juste.

Le virtuel présente-t-il aussi un danger réel pour les enfants ?

Parmi ceux qui arrivent en 6e, nous en voyons souvent qui, à force d’être devant des écrans, sont marqués même physiquement : ils ont une attitude physique crispée, ne savent pas bien courir, grimper, etc. Quant à leur manière de s’exprimer, elle est souvent très pauvre, ils n’ont pas de structure syntaxique et ne comprennent pas les phrases complexes ou les mots conceptuels, ce qui pose un grave problème dans les apprentissages et provoque de la violence. Je pense à un élève de 6e qui ne parvenait pas à apprendre une leçon d’histoire car, dans la phrase « Les pharaons ont organisé la société », il ne comprenait pas les mots « organiser » et « société », trop abstraits pour lui. Dans la phrase « Trois millénaires durant lesquels… », il ne comprenait pas le sens de « durant lesquels ». Cela rend impossibles les apprentissages en 6e… Tout cela est amplifié pour les enfants qui, pendant le confinement lié au Covid, ont reçu les enseignements de base en virtuel.

Nous nous adaptons en mettant en place des petits groupes de niveaux par matière, pour permettre à ceux qui ont le plus de lacunes de repartir des bases du primaire. Nous leur offrons aussi, si besoin, un accompagnement personnalisé, en les faisant lire comme les enfants de CP. Nous sommes aussi particulièrement attentifs à stimuler ces enfants sur le plan de l’activité physique par le sport, y compris pendant les récréations, avec des jeux d’équipe ou d’adresse. Et, bien sûr, les portables sont interdits dans l’école ! Petit à petit, cette méthode porte des fruits et les élèves rattrapent leurs lacunes.

Quels sont les grands principes de votre approche ?

Passionnés par la question de la transmission, nous nous sommes appuyés sur l’expérience et la pensée des grands maîtres dans le domaine de l’éducation. Notre pédagogie s’appuie avant tout sur la sagesse éducatrice de saint Jean Bosco. Mais aussi sur la pensée de l’écrivain Henri Pourrat, de l’artiste Henri Charlier et du philosophe Gustave Thibon. Pour transmettre, il faut avant tout partir du réel de l’enfant lui-même. Certains sont naturellement intellectuels et passent vite à l’abstraction, quand d’autres ne le peuvent pas. Or, en France, on considère que seul ce qui est intellectuel a de la valeur, et l’on met ainsi beaucoup d’élèves en situation d’échec et de souffrance. En ce sens, la création du collège unique, en 1958, qui ne tient pas compte des différentes formes d’intelligence des jeunes, a fait de gros dégâts. L’intelligence ne se réduit pas à l’intellect abstrait. En Allemagne, par exemple, les élèves peuvent se réorienter vers des filières manuelles dès la 5e, et revenir après, si besoin, vers l’enseignement classique. Ce n’est pas une honte pour les familles, comme en France où les formations pratiques sont méprisées.

Concrètement, quelle est votre pédagogie ?

Nous partons de la réalité du fonctionnement du cerveau, qui a toujours besoin d’aller du plus simple au plus compliqué. Nous enseignons donc toutes les matières selon cet ordre logique.
Nous sommes également convaincus que la formation de la pensée des enfants ne passe pas seulement par l’intellect mais aussi par l’intelligence pratique et artistique. L’art constitue une forme d’expression de la pensée différente et complémentaire de celle du langage. Nous proposons donc des matières artistiques – chant, musique, théâtre, dessin – et manuelles – cuisine, menuiserie, couture, jardinage… – qui participent de ce retour au concret. Nous nous adaptons à chaque enfant, en cherchant un domaine dans lequel il peut exceller, déployer ses talents et prendre confiance en lui, selon ses capacités propres. Fabriquer quelque chose de leurs mains, créer, se confronter au réel d’un matériau, rend les élèves très heureux. Cela leur apprend aussi le sens de l’effort. Dans toutes ces disciplines, nous favorisons la recherche du beau, qui participe aussi à la joie.

Le retour au réel passe-t-il également par la nature ?

C’est la grande intuition d’Henri Pourrat, dans L’École buissonnière : les enfants ont besoin de retrouver un lien avec la nature, pour apprendre la contemplation et l’émerveillement devant la splendeur de la Création. Cela les rend heureux et favorise leur imagination. Pour cela, nous proposons des actions concrètes. Nous avons mis en place un cours de jardinage pendant lequel les enfants plantent des légumes et les récoltent. Nous les emmenons, au moins une fois par an, admirer la chaîne des Pyrénées au cours d’une randonnée. Les cours de SVT se passent souvent dehors, au bord d’un étang ou dans un bois, pour admirer et étudier la faune et la flore. Les cours de dessin se font parfois dehors pour admirer et reproduire un paysage. Suivant les années, nous les avons emmenés visiter une chèvrerie, une autre fois une exploitation viticole… à leur âge, il suffit de voir un chevreau pour avoir envie d’élever des chèvres, et de manger quelques légumes plantés par leurs soins pour souhaiter continuer ! L’admiration de la Création suscite l’amitié.

Le retour d’un contact avec le naturel peut-il aider à transmettre le surnaturel ?

Tout à fait ! La nature leur fait prendre conscience qu’ils ne sont pas tout-puissants : cela leur enseigne l’humilité, en leur rappelant qu’ils sont dépendants de leur Créateur. Une éducation qui permet de nouer une amitié avec la Création conduit à l’amour du Créateur.

Par ailleurs, le spirituel fait partie du réel car nous sommes créés à l’image de Dieu. L’éducation à la réalité, c’est donc également tenir compte du fait que l’enfant a été créé corps, esprit et âme : il est vital d’unifier tous ces aspects de son être. Chaque enfant est appelé à être un reflet de la Lumière éternelle. Le travail de l’éducateur est de l’aider à le devenir, en se fondant sur ce que Dieu lui a donné : son corps, ses origines, son intelligence et sa sensibilité propres, ses talents et son âme. Donc, outre un enseignement physique et intellectuel, nous proposons une formation permettant la croissance de la vie spirituelle, dans une grande liberté. En plus de l’enseignement religieux et la messe – obligatoires mais sans obligation de croire – et l’adoration, nous avons également mis au point une petite école de prière, facultative, où le curé de la paroisse enseigne aux enfants la vie intérieure.

Nous ne sommes dans le réel qu’en vivant en harmonie avec Dieu, et dans le don désintéressé de nous-même à Dieu et aux autres. C’est un chemin de bonheur car nous ne pouvons être heureux qu’en correspondant au projet d’amour que Dieu a sur nous.

Quels sont les fruits d’une telle éducation ?

Retrouver un lien avec le réel permet peu à peu à l’enfant de comprendre que sa vie a un sens et de réfléchir sur ce qu’il va faire de sa vie, à partir de ses capacités propres. Un enfant dont la vie a du sens est un enfant heureux. Le fruit de cette éducation, c’est la joie. 


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