Y a-t-il un art politique français ? - France Catholique
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Un autre regard sur le poverello
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Y a-t-il un art politique français ?

L’histoire de France nous l’enseigne : c’est de l’amour de Dieu que découlent l’amour pour le peuple et ses bienfaits, la paix et la sécurité.
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Tableau représentant Louis XVI qui reçoit à Reims les hommages des chevaliers du Saint-Esprit.

Louis XVI reçoit à Reims les hommages des chevaliers du Saint-Esprit, 13 juin 1775, Gabriel François Doyen, musée de l’histoire de France, château de Versailles.

Y a-t-il un art politique français ? À cette question, l’histoire répond de manière affirmative. On distingue, dès le début, une spécificité du royaume de France que le professeur Pierre Chaunu appelait la « création d’espaces de paix et de sociabilité ». Dès la Chanson de Roland – XIe siècle –, on entend parler de « Douce France », ou « France, la douce ». Le royaume des lys est ainsi la patrie où fleurissent les arts de la paix, à l’abri des horreurs de la guerre extérieure, et des désordres civils.

Frédéric Ozanam, dans son cours à la Sorbonne sur le Ve siècle, définissait ainsi la vocation du royaume des Francs : « Terminer les invasions, continuer les Romains, et commencer la gloire temporelle du christianisme. » Dans ces trois propositions, il y a tout l’ordre politique que Clovis et ses successeurs, Charlemagne puis les Capétiens, ont essayé de construire, sans autre prétention que cette difficile et toujours fragile paix fondée sur la justice. Dès lors, s’ils furent des rois guerriers et justiciers, c’était dans ce but et non dans une quelconque ambition démesurée.

La devise des capétiens

On connaît leur célèbre devise : « Nous qui voulons toujours raison garder », mais il faut la compléter par quelques autres recommandations, dont la première est dans le testament de Saint Louis : « Beau fils, je t’enseigne d’abord à mettre ton cœur à aimer Dieu. » Si, comme le dit l’adage : « Le bonheur du peuple est dans le cœur du roi », il faut que ce cœur soit bien disposé. Il ne s’agit pas seulement d’une adhésion intellectuelle aux vérités de la foi, mais d’une disposition du cœur et de la volonté à « aimer Dieu ». L’amour est donc premier et c’est l’amour de Dieu, dont découlera l’amour pour le peuple.

Cet amour n’est pas sentimentalité. On peut dire des rois de France qu’ils ont « fait le bien avec un sceptre de fer », pour reprendre une formule de Victor Hugo.

Richelieu, dans son Testament, met les rois en face de leur responsabilité, précisant que « tel se sauverait comme simple particulier qui peut se damner comme magistrat ». Il y a une responsabilité spécifique du roi qui est « lieutenant de Dieu sur terre ». Au sommet de l’art politique français, il y a donc cette conception très claire que c’est, comme le disait Jeanne d’Arc, « Jésus-Christ qui est vrai Roi de France ». Jeanne vient le confirmer dans sa mission venue du Ciel, à la fin des temps de chrétienté, et à l’ouverture des temps modernes où l’on verra les nations se séparer de Dieu.

La pratique de l’art politique français n’échappera pas à cette tentation mais restera toujours, jusqu’au 21 janvier 1793 [date de l’assassinat de Louis XVI, NDLR], dans les limites que lui avaient fixées les fondateurs, qui étaient le souci de la paix et de la justice à l’intérieur du royaume.

« Lieutenant de Dieu sur terre »

La Révolution changera complètement les données de la compétition politique, en faisant prévaloir des visées idéologiques, et en oubliant la première des réalités qui est la paix et la sociabilité à l’intérieur. Depuis la fin de ce qu’on a appelé l’Ancien Régime, selon la formule d’Anatole France, « on n’a pas vu apparaître de régime nouveau », mais tous ceux qui ont voulu gagner la confiance des Français ont fini par imiter, sans le dire ou en le disant, l’art politique capétien : la justice et la paix à l’intérieur, la sécurité et la gloire à l’extérieur, sans autre ambition idéologique, et avec un souci constant de la mesure et de l’économie.

Il ne faut pas oublier la dimension de la gloire, qui était réservée aux opérations militaires mais qui est constante depuis Clovis. La popularité de Napoléon, Premier consul, puis empereur, malgré tous ses défauts, a reposé sur le sens de la gloire, qui est d’abord une chose militaire. On voit ainsi l’armée et ses vertus occuper une place si importante dans le paysage politique français qu’il en viendra à plusieurs reprises à prôner « l’appel aux soldats ».

L’histoire récente nous montre ce phénomène, dans les périodes les plus difficiles : en 1940, quand l’Assemblée nationale et le Sénat remettent les pouvoirs à un vieux maréchal de 84 ans, puis en 1958 quand, dans le désordre des institutions, des pouvoirs constitués font appel au général de Gaulle qui fait adopter la Constitution que nous connaissons aujourd’hui. On distingue, dans nos temps modernes, un double appel à une autorité continue au sommet et à une représentation effective des composantes de la nation. Ce double mouvement, qui existait déjà en 1789, n’a pas encore trouvé de solution, ce qui fait qu’aujourd’hui, la pratique d’un art politique français se heurte à une impossibilité institutionnelle. Nous vivons une carence au sommet et un manque de communication réel à la base, qui explique l’angoisse d’un peuple qui ne se sent plus ni compris ni gouverné.

Blocage institutionnel

Ainsi, le besoin d’un art politique français s’exprime souvent de manière négative, faute de trouver une véritable incarnation.

L’histoire universelle et l’histoire de l’Europe montrent que cet art très simple, hérité de Rome et d’Athènes, a été une spécificité française, la France lui ayant donné le couronnement évangélique qui manquait à Rome et à Athènes.

Ainsi, l’Église a-t-elle pu considérer que la France reprenait la tradition de David et des rois de Juda, ce que manifestait, dans la pierre, la galerie des rois au tympan de Notre-Dame de Paris, galerie que les révolutionnaires ont jetée à terre, croyant que ces rois de Juda étaient les rois de France.

La France n’a donc pas d’autre choix, si elle veut perdurer dans l’histoire, que de retrouver cette origine. La canonisation de Jeanne d’Arc, au XXe siècle, et sa proclamation comme héroïne nationale, approuvée à l’unanimité par les chambres et effectuée par une loi promulguée le 14 juillet 1920, montrent l’actualité religieuse et politique de cette refondation.

Il est significatif de noter que l’encyclique Quas primas instaurant la fête du Christ-Roi intervient dans la première moitié du XXe siècle, et n’est toujours pas, aujourd’hui, mise en œuvre.

Il y a là un beau travail politique et religieux pour les générations actuelles, qui peuvent trouver une solution aux difficultés présentes, tout en renouant le fil d’une tradition interrompue.