Engagement local : « Plus que jamais, il ne faut pas déserter » - France Catholique
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Un autre regard sur le poverello
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Engagement local : « Plus que jamais, il ne faut pas déserter »

Face à la crise politique, le chrétien peut se sentir confronté à une triste alternative : le renoncement ou le retrait. Pourtant, ce contexte peut favoriser l’émergence d’une action nouvelle, locale, et porteuse d’espérance.
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Façade de mairie rurale

« Incarner l’espérance exige de l’incarner là où sont les gens. » © Fred de Noyelle / Godong

Si l’une des vocations majeures du chrétien est de faire advenir ici-bas le Royaume, force est de constater que l’offre politique qui se dessine à l’approche du second tour des élections législatives risque de le laisser perplexe. À l’échelle nationale, aucun des mouvements politiques et des programmes en concurrence ne peut lui permettre de glisser un bulletin dans l’urne sans transiger avec les principes que l’Église qualifie de « non négociables », soulignés en février 2007 par Benoît XVI dans l’exhortation apostolique Sacramentum caritatis.

Les principes du bien commun

Qu’il s’agisse de la protection de la vie, de la promotion de la famille, ou encore du droit des parents d’éduquer librement leurs enfants, la plupart des offres politiques au plan global – les exceptions concernent davantage les individualités parmi les candidats, au cas par cas – conduisent à des transgressions ou à des concessions. À gauche, au centre ou au sein de toutes les droites, à des degrés divers, les propositions ne remettent pas en cause l’intangibilité de l’avortement ou du mariage homosexuel, hésitent sur une éventuelle évolution du droit sur la fin de vie et – surtout à gauche et même au centre – remettent en cause le statu quo sur l’enseignement privé, a fortiori hors contrat.

Dans un pays dont 2 % seulement de la population se déclare catholique, les croyants doivent-ils jeter l’éponge et se retirer sur un Aventin certes rassurant, mais privé de rayonnement missionnaire ? Assurément non. « Le chrétien doit manifester une espérance inversement proportionnelle au désespoir du monde », souligne Philippe Royer, ancien président du mouvement des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), président de Fratello et cofondateur du réseau Cléophas, qui vise à infuser les principes du bien commun dans les entreprises et les institutions. « L’espérance est ce qui reste quand il n’y a plus d’espoir. Plus que jamais, il ne faut pas déserter », souligne-t-il encore.

Changer de perspective

Le texte qui introduit la prière pour la France, proposée par les évêques de France le 20 juin, suggère un renversement de perspective essentiel. Selon eux, l’actuelle crise politique ne saurait être considérée comme un fait en soi, mais comme la conséquence d’une crise plus profonde. « Le malaise social […] tient aussi à l’individualisme et à l’égoïsme dans lesquels nos sociétés se laissent entraîner depuis des décennies, à la dissolution des liens sociaux, à la fragilisation des familles, à la pression de la consommation, à l’affaiblissement de notre sens du respect de la vie humaine, à l’effacement de Dieu dans la conscience commune », écrivent-ils.

En filigrane, le constat est clair : c’est l’érosion des convictions et des valeurs chrétiennes qui est le facteur fondamental de la crise, et pas seulement des paramètres conjoncturels – aussi importants soient-ils – comme la hausse du coût de la vie ou la dérégulation des flux migratoires. Ce constat préoccupant porte en lui, en creux, de solides raisons d’espérer. Car les chrétiens disposent d’un pouvoir d’action réel pour agir aux racines du mal.

« Penser global, agir local. » L’Église n’a pas attendu les mouvements écologistes, notamment altermondialistes, pour œuvrer selon les principes de cette maxime contemporaine. Les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, dont la liste se dessine dans les Évangiles, constituent un programme d’action locale, concret et accessible à tous, qui a fait ses preuves depuis l’origine du christianisme.

Écoles, universités, hospices, dispensaires, petits séminaires, asiles, béguinages, coopératives, patronages, syndicats, mutuelles, édition, presse, action artistique, logement… Le catalogue des actions temporelles de l’Église au fil de l’histoire est inépuisable et n’a rien perdu de son actualité, comme en témoigne la floraison récente des mouvements les plus variés qui font rimer les mots « prochain » et « proximité », inscrivant leurs pas dans ceux de saint Vincent de Paul, de saint Jean-Baptiste de La Salle, de sainte Jeanne Jugan, de Don Bosco, de Frédéric Ozanam et de tant d’autres…

« Le règne social du Christ »

Peut-être plus que jamais néanmoins, cet engagement des chrétiens dans la Cité se heurte à un double obstacle : la condescendance – sinon l’hostilité  – de l’époque à leur encontre d’une part, et la tentation de la sécularisation qui avait conduit le pape François à rappeler, sitôt après son élection, que l’Église n’est pas, et ne sera jamais, une ONG.

Le Royaume que les chrétiens sont appelés à bâtir aujourd’hui n’est sans doute pas un État chrétien, avec son souverain, ses lois et ses frontières, même si l’idéal du « règne social du Christ » ne saurait être considéré comme un horizon dépassé, issu d’une doctrine périmée : le pape Pie XI en a rappelé la beauté dans l’encyclique Quas Primas (1925).

Il reste certain que les chrétiens de tous temps peuvent œuvrer à édifier « un Royaume invisible qui existe à travers nos actes, nos vies, y compris nos actions dans la Cité que ce soit en politique, dans la société civile ou dans notre voisinage », comme le rappelle l’essayiste Charles Vaugirard, auteur de l’essai Agir en chrétien dans un monde qui ne l’est plus (Téqui) dans un entretien récent accordé à Aleteia. Ce Royaume ne peut être qu’une fraternité, explique-t-il encore, « qui ressemble beaucoup à l’amitié politique d’Aristote ». Conclusion de l’essayiste : face à l’individualisme qui déploie ses tentacules partout et tout le temps, seule peut répondre la charité chrétienne. C’est aussi le point de vue de Rodrigue Tandu, éducateur et cofondateur du Réseau des deux cités : « Notre seul roi, c’est Jésus. Notre seule loi, c’est l’Amour. Notre seul horizon, c’est la Vie éternelle. La plénitude de notre bonheur est ailleurs. C’est grâce à cette espérance que nous n’avons pas peur dans un monde pétri par l’angoisse. »

Si l’individualisme est une source majeure de la crise politique et de la fragmentation vertigineuse de la société, seule l’approche chrétienne peut alors proposer un remède complet face à cette tendance mortifère. C’est ce que pense Philippe Royer : « Les chrétiens sont les seuls à pouvoir changer les choses. En déconstruisant les racines chrétiennes de la France, on s’est coupé de leur fécondité. À l’heure du communautarisme et des divisions, les chrétiens – même s’ils sont peu nombreux – savent et peuvent refédérer la société, grâce à deux caractéristiques majeures de leur rapport à autrui : la charité et la gratuité. Au Liban, par exemple, ce sont eux qui ont réussi à éviter le chaos. »

Relever ce défi passe par l’action locale précise-t-il encore. « Réemparons-nous de la pensée et agissons localement. Incarner l’espérance exige de l’incarner là où sont les gens. Si nous suivons cette ligne, alors nous aurons accompli dans la Cité ce que nous devions faire pour rester fidèles à notre chemin de sainteté. » On peut citer à l’appui l’exemple concret de la ville d’Asnières, où une soirée des mariés a été organisée le 6 février dernier pour renforcer les couples.

L’action locale, c’est aussi le credo de Rodrigue Tandu : « Ce que le chrétien a reçu, il ne peut le garder pour lui, il doit le redonner. Nous ne sommes pas tous appelés à accomplir de grandes choses, mais chacun doit agir à son échelle, dans sa famille, dans son bureau, dans son quartier, dans un esprit de service et de gratuité. Et bien sûr dans la joie car, j’en suis persuadé, la joie est contagieuse. »