Les chrétiens sont-ils trop dogmatiques ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Les chrétiens sont-ils trop dogmatiques ?

Dans un monde où le relativisme est lui-même érigé en dogme, la formule fait figure d’insulte. Comment frayer avec des gens attachés fermement à des dogmes ?
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On reproche souvent aux chrétiens d’être dogmatiques, parce qu’ils tiennent avec vigueur à des principes religieux et moraux. À ce mot, on songe aussitôt à des personnes arrogantes, rigides et bornées, ne concevant pas la possibilité d’avoir tort. Aveugles sur la faiblesse de leurs principes, les « dogmatique  » ne supportent pas la contradiction. À vrai dire, ce portrait évoque davantage certaines militantes « woke », au dogmatisme d’autant plus pernicieux qu’il s’ignore, que des jeunes femmes de nos assemblées. Néanmoins, la question demeure : l’Église n’est-elle pas dogmatique ? N’est-elle pas opposée à la liberté intellectuelle, qui exige qu’on puisse chercher en toute direction, sans limite a priori ?

Qu’est-ce que le dogmatisme ?

Le terme de dogmatisme est très ambigu car il peut désigner soit une tournure d’esprit, hélas fréquente, soit le fait de tenir fermement à une vérité, d’être prêt à mourir pour elle.

Si nous sommes dogmatiques au premier sens, nous ne pensons qu’à nous. Nous ne voulons pas être dérangés par des idées ou des perspectives nouvelles. Une telle disposition d’esprit est en tout point opposée à celle d’un disciple du Christ qui, épris de vérité et pressé par la charité, cherche sans cesse la position la plus vraie, l’attitude la plus juste.

Au second sens, nous ne nous intéressons pas à nous-mêmes. Ce qui a du prix à nos yeux est la Vérité elle-même, à qui nous devons tout sacrifier. Tenir à des vérités, être fidèle à des principes, procède d’un amour désintéressé du vrai et du bien. Dira-t-on de Jean Moulin qu’il était « dogmatique » ? Soutenir que la terre est ronde, est-ce être têtu ou borné ?

Être chrétien, c’est accepter des dogmes, qui sont la formulation de ce que la foi atteste. Un catholique qui rejetterait fermement la Résurrection du Christ sortirait de l’Église, aussi sûrement qu’un joueur s’obstinant à jouer les tours en diagonales serait exclu du club d’échecs. Car on ne rentre pas dans l’Église pour révolutionner les dogmes, mais pour se laisser convertir par eux.

Mais le chrétien ne doit-il pas faire preuve d’« ouverture d’esprit » ? Hélas, cette expression souffre des mêmes ambiguïtés que le terme de « dogmatisme ». Car elle peut signifier cette capacité à discuter, à entrer dans les raisons d’autrui, en comprenant ce qui peut l’amener à différer d’opinion, à faire preuve de délicatesse. Ou bien signifier qu’on tolère toutes les doctrines comme si elles s’équivalaient, au nom d’une générosité un peu naïve. Il faut être dogmatique dans les principes et ouvert d’esprit quand on rencontre nos frères, et non pas tolérant en théorie et sectaire en pratique, comme c’est si souvent le cas. Ou, pour reprendre une célèbre formule de Jacques Maritain : « Il faut avoir l’esprit dur et le cœur doux. Sans compter les esprits mous au cœur sec, le monde n’est presque fait que d’esprits durs au cœur sec et de cœurs doux à l’esprit mou. »

Le dogme libère l’intelligence

Accepter des dogmes n’est pas une mutilation de l’intelligence. À vrai dire, en fixant des bornes à la pensée, l’Église protège la raison contre elle-même. Car la raison sans limites devient folle ; elle ne sait plus à quels principes s’accrocher. C’est ce qu’avait pressenti Chesterton : « Les critiques modernes de l’autorité religieuse ressemblent à des hommes qui s’en prendraient à la police sans jamais avoir entendu parler de cambrioleurs. Car l’esprit humain s’expose à un grand péril, un péril aussi concret qu’un cambriolage. L’autorité religieuse a été dressée contre lui, à tort ou à raison, comme une barrière. » Ce péril qui menace l’esprit humain et auquel fait obstacle l’autorité religieuse, c’est son autodestruction. Sans l’ancre solide du dogme, la raison part à la dérive et on en vient à proférer des absurdités avec un aplomb déconcertant : « un cochon vaut mieux qu’un nourrisson », « un homme peut devenir une femme », « acheter un enfant est une preuve d’amour », etc.

Les dogmes nourrissent l’intelligence

Mais le dogme ne se contente pas de protéger l’intelligence, il l’oriente et la nourrit. André Frossard, qui a vécu une conversion fulgurante, durant laquelle le mur étroit de son athéisme avait éclaté et s’était comme écarté pour laisser place à un autre monde, à une lumière plus intense et « enseignante », témoignait : « Contrairement à ce que l’on prétend, les dogmes ne fixent pas à l’intelligence des limites qu’il lui serait interdit de franchir, ils l’attirent au-delà des frontières du visible ; ce ne sont pas des murs, ce sont des fenêtres dans notre prison. »

Le Père Pinckaers, dominicain (1925-2008), a montré que les Pères de l’Église ne voyaient pas les dogmes comme une contrainte extérieure et arbitraire, comme un frein à la pensée, mais au contraire comme une lumière supérieure qui éclaire notre chemin. La doctrine ne bride pas l’intelligence mais lui donne sa nourriture. Car le Credo n’est pas la limite où la pensée s’arrête, mais celle où la contemplation commence. « Un dogme, poursuivait Frossard, est la présentation théologique d’un mystère, et le mystère est la nourriture naturelle de l’intelligence : la science elle-même va de mystère en mystère, cherchant la raison d’être des choses, qu’elle approche toujours, et ne rejoint jamais. C’est cette attraction qui fait du mystère, beaucoup plus qu’une énigme à déchiffrer, une source de vie spirituelle. » C’est en accueillant la vérité révélée dans le dogme que notre intelligence sera rendue libre.