L'impasse de Maritain face à la modernité - France Catholique
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L’impasse de Maritain face à la modernité

Comment accorder le christianisme à l'humanisme moderne ? Jacques Maritain lui-même s'est trouvé en proie au doute face à cette difficulté.
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Jacques Maritain (1882-1973), vers 1930.

Jacques Maritain (1882-1973), vers 1930.

Il fut un temps où la démocratie chrétienne dominait une large part de la vie politique en Europe. En Italie bien sûr, mais aussi en Belgique, en Allemagne… En France ? La situation y a toujours été particulière, le cas du MRP (Mouvement républicain populaire) ne pouvant être comparé au leadership réalisé par des formations européennes plusieurs décennies durant. Le parti de Georges Bidault se réclamait clairement d’une identité chrétienne, mais il ne passa pas le cap de l’avènement de la Ve République. Ses héritiers se sont fondus dans des formations élargies de droite et du centre. Qui peut encore discerner dans le Modem de François Bayrou une filiation évidente avec le MRP, dont il serait l’héritier présomptif ?

Dérive idéologique et morale

Mais, d’une façon générale, il apparaît que la démocratie chrétienne européenne s’est trouvée affrontée à la dérive idéologique et morale qui se rapporte à la culture contemporaine, à ce qu’on désigne par le terme de modernité. Comment maintenir sa fidélité à l’héritage chrétien, tel qu’il s’exprime notamment dans le magistère de l’Église catholique, alors qu’on se veut en correspondance avec les mutations de la vie moderne ? La contradiction évidente se trouve sans cesse vérifiée, même en dehors de l’Europe. Joe Biden se trouve être, après John Fitzgerald Kennedy, le second président catholique des États-Unis. Cela n’empêche pas qu’il soit en conflit permanent avec l’épiscopat américain, ne serait-ce que sur la question de l’avortement.

On peut s’interroger sur la dimension philosophique de cette contradiction. Jacques Maritain avait voulu, notamment avec la rédaction d’un essai, Humanisme intégral (1936), qui fit forte impression sur le moment, dénouer la difficulté posée par la démocratie moderne à la pensée chrétienne.

L’argumentation du penseur est impressionnante. Établissant l’opposition évidente entre le théocentrisme médiéval et l’humanisme moderne, il entend la surmonter en montrant que l’inspiration chrétienne évangélique peut donner un sens approfondi à ce déplacement en faveur de l’homme – sans déroger à l’orthodoxie. Le pape Paul VI, très influencé par Maritain, pouvait ainsi déclarer au terme du concile Vatican II : « Nous aussi, plus que quiconque, avons le culte de l’homme. »

L’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu se trouve honoré à un degré supérieur à tous les humanismes modernes. Est-ce pour autant qu’il y aura forcément accord du christianisme avec ces humanismes ? Dans une certaine mesure, oui. Ainsi, Jacques Maritain a-t-il pu coopérer, après la Seconde Guerre mondiale, à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies. Il pouvait se prévaloir d’une large marge d’accord avec le juriste René Cassin, dont les choix intellectuels et politiques étaient pourtant différents des siens.

Humanisme utopique ?

Mais un tel accord serait-il possible, ou même vraisemblable aujourd’hui ? C’est plus que douteux, notamment en raison des orientations actuelles de l’organisation des Nations unies en matière de « santé reproductive », incompatibles avec la morale chrétienne. Par ailleurs, de l’aveu du philosophe devenu « paysan de la Garonne » au lendemain du concile, aucune réalisation concrète de son idéal d’humanisme intégral ne correspondait à ses vœux, à l’exception de la très brève expérience de son disciple chilien Eduardo Frei, président de la République du Chili de 1964 à 1970.

Autant dire que Jacques Maritain s’était trouvé lui-même en proie au doute quant aux chances de son humanisme partagé. Mais ne vivait-il pas, à l’instar des chrétiens de toujours et d’aujourd’hui, la difficulté de vivre dans ce monde ? Ce monde, est-il dit dans le Prologue de l’Évangile de saint Jean, qui n’a pas reconnu en Jésus son Créateur et son Sauveur.