Une France presque monochrome aux couleurs du Rassemblement national. Jamais dans une élection un seul parti n’avait affiché une telle suprématie territoriale. Le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella arrive en tête dans 97 départements sur 101. Seuls Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et, outre-mer, la Martinique ont résisté à la déferlante. Selon les résultats définitifs publiés par le ministère de l’Intérieur, le Rassemblement national obtient 31,47 % des suffrages, Renaissance 14,56 %, PS-place publique 13,80 %, La France insoumise 9,87 %, LR 7,24 %, EELV 5,47 % et Reconquête 5,46 %.
Comment en est-on arrivé là ? Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion de l’Ifop, observe dans Le Figaro (10/6) une diffusion de l’audience du RN « dans toutes les strates de la population […]. Un mélange détonnant – pouvoir d’achat, insécurité, immigration – a constitué le carburant à haute performance que la fusée Bardella a utilisé pour se propulser à des niveaux jamais atteints jusqu’ici ». De son côté, Alexis Brézet, le directeur des rédactions du Figaro, souligne dans la défaite d’Emmanuel Macron qualifiée « d’humiliation » « la convergence de deux colères, la fusion de deux exaspérations […]. La vague de l’antimacronisme » avec des Français qui jugent une présidence « bavarde, arrogante et narcissique » et la vague anti-immigration qui s’illustre dans toute l’Europe, de l’Italie au Danemark en passant par l’Autriche et les Pays-Bas.
« Une décision grave et lourde »
Si la gifle électorale a déstabilisé Emmanuel Macron qui s’était fortement impliqué dans la campagne, fallait-il pour autant dissoudre l’Assemblée nationale ? Séverin Husson dans le journal La Croix (10/06) parle d’une « décision grave et lourde », Libération fait sa une sur « un pari extrême ». De son côté, dans le Figaro Vox, l’historien Maxime Tandonnet rappelle que cette dissolution ne s’imposait nullement car « le pays ne se trouvait pas dans une situation d’insurrection ou de blocage total comme en mai 1968. Certes le fonctionnement de l’Assemblée nationale est chaotique mais avec des majorités de circonstance plusieurs réformes emblématiques du macronisme ont été votées, par exemple sur la “transition climatique”, l’immigration, les retraites ou l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Par ailleurs le vote désastreux pour la majorité concerne le seul Parlement européen ».
Quel calcul présidentiel se cache donc derrière la décision prise par Emmanuel Macron ? Réinventer un macronisme d’unité nationale contre l’extrême-droite en formant une coalition avec la droite LR et le parti socialiste ? Une stratégie contre-productive pour l’éditorialiste d’Europe 1 Vincent Trémolet de Villers pour qui « Emmanuel Macron est devenu par sa seule présence le meilleur agent électoral du Rassemblement national » (10/06). Quant à l’idée de mettre en place un front républicain, le journaliste Franz-Olivier Giesbert est dubitatif : « Nous ne sommes plus en 2002 et il n’y a pas un Français qui croie que Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen c’est pareil » (Cnews, 10/06). Cependant, Emmanuel Macron n’hésite pas à jouer avec la peur des députés sortants de perdre leur siège. Le secrétaire général de Renaissance Stéphane Séjourné propose « de donner l’investiture aux candidats sortants y compris d’opposition, faisant partie du champ républicain ». Pour Guillaume Tabard, éditorialiste au Figaro (10/06) il s’agit d’une « bien étrange assurance-vie […] un cartel de perdants peut-il faire face au seul parti qui soit puissant ? ».
Campagne éclair
Chacun étant désormais sommé de choisir son camp, la campagne éclair pour les élections législatives qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet promet d’être riche en rebondissements. Olivier Faure, le premier secrétaire du parti socialiste appelle à « créer un front populaire en sollicitant les partis d’extrême gauche, LFI, les communistes et les écologistes mais « sans rééditer l’accord de la Nupes ». Quant au Rassemblement national, il met en place une plateforme électorale à laquelle pourront se joindre « des gens issus des LR, de la gauche patriote et des candidats de Reconquête ! ». Le parti reste opposé à l’idée d’une union des droites jugée trop restrictive quand cette dernière est toujours appelée de ses vœux par Marion Maréchal. Ainsi, entre alliances et tractations, le prochain scrutin sera une opération de vérité démocratique, mais faire miroiter une cohabitation au RN est un pari hasardeux pour Emmanuel Macron. Quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée nationale ? Le président, qui a maintes fois joué sur la stratégie du « c’est moi ou le chaos », serait-il en train de devenir « l’ingénieur du chaos » (Europe 1, 10/06) ?
Pour aller plus loin :
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Législatives : quels enseignements ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies