Au pied de la Croix, saint Jean établit d’emblée un lien entre le traitement que les soldats romains réservent au corps de Jésus et certains passages de l’Ancien Testament. Voici le récit qu’il en fait dans son Évangile (19, 33-36) : « Arrivés à Jésus, le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes, mais l’un des soldats lui transperça le côté avec sa lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, et son témoignage est vrai ; et celui-là sait qu’il dit vrai, afin que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, afin que l’Écriture fût accomplie : “Aucun de ses os ne sera brisé.” Et il est encore écrit ailleurs : “Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé.” »
Dans cet extrait, Jean fait d’abord allusion à deux passages concernant la célébration de la Pâque. Le premier est tiré de l’Exode : « On ne mangera la Pâque que dans la maison. Vous n’emporterez point de chair hors de la maison, et vous ne briserez aucun os » (Ex 12, 46). Le second passage se trouve dans les Nombres : « Ils n’en laisseront rien jusqu’au matin, et ils n’en briseront pas les os » (Nb 9, 12).
Ces deux extraits correspondent à des recommandations que Dieu fait à son peuple au moment de l’instauration de la Pâque. La seconde référence donnée par Jean concerne les prophéties de Zacharie (Za 12, 10) : « Quant à celui qu’ils ont transpercé, ils feront sur lui une lamentation comme on la fait sur un fils unique. On pleurera amèrement sur lui comme on pleure amèrement sur un premier-né. » Un peu plus loin, il est dit : « En ce jour-là, il y aura une source ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem ; pour laver le péché et la souillure » (Za 13, 1).
Ainsi, Jean fait de lui-même le rapprochement entre les agneaux sacrifiés lors de la Pâque et le Christ qui se sacrifie pour les hommes. Dans l’Ancien Testament, l’intégrité du squelette de l’agneau pascal symbolise l’intégrité des membres de la famille qui consomme l’agneau et, par suite, l’intégrité de la famille elle-même. Il en est de même pour le corps de Jésus : les jambes non brisées symbolisent l’unité de l’Église qu’il fonde en mourant.
Offrande et purification
Les exégètes estiment que Jésus est crucifié à l’heure du sacrifice des agneaux dans le Temple de Jérusalem. Selon la loi juive de l’époque, le rituel de célébration de la Pâque est très précis : les agneaux sont égorgés, on laisse couler le sang dans une bassine en argent ou en or, puis les prêtres jettent ce sang au pied de l’autel. Le sang des agneaux est à la fois une offrande à Dieu et un élément purificateur. Son jaillissement est essentiel afin qu’il puisse être répandu.
Le sang qui s’écoule de la plaie ouverte de Jésus permet à Jean de comprendre le lien direct entre l’immolation des agneaux et le sacrifice du Fils de Dieu. Cependant, le sang ne suffit plus, son action est désormais parachevée par celle de l’eau qui marque le passage à la Nouvelle Alliance. Seul le sang qui lave le péché jaillit des agneaux, mais du Cœur de Jésus jaillit en plus l’eau qui annonce la vivification spirituelle en lien avec le baptême.
Le cardinal Joseph Ratzinger le notait dans un de ses livres : Jean a immédiatement compris que l’image du côté transpercé est le point culminant de toute l’histoire de Jésus sur la terre. Comme l’annonçait Zacharie, le Cœur Sacré de Jésus est la source ouverte pour les siècles des siècles, source qui rachète le péché du monde et donne la vie éternelle.