La France est décidément un pays étrange. En 1873, moins d’un siècle après la Révolution où l’Église a failli être balayée, l’Assemblée nationale vote une loi d’utilité publique pour construire un sanctuaire, afin d’obtenir « l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ », et faire « cesser les malheurs de la France » après la défaite de 1870 (texte du Vœu national).
Le 31 mai 1940, à la veille de la guerre contre l’Allemagne, du haut de cette même basilique de Montmartre, la France est consacrée au Sacré-Cœur en présence du gouvernement, et c’est le général de Castelnau, fondateur de La France Catholique, qui prononce le discours.
Blessure et désamour
Alors que les électeurs des 27 pays européens s’apprêtent à élire leurs représentants au Parlement de Strasbourg, c’est dire combien la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus a partie liée avec l’histoire, non seulement religieuse, mais aussi politique.
Pour beaucoup, le refus d’inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne, en 2004 – à l’instigation de Jacques Chirac –, reste une blessure et a révélé un désamour vis-à-vis du projet européen. Robert Schuman, un des pères de l’Europe, avait pourtant prévenu : « Il […] est impossible d’accepter que l’État ignore systématiquement le fait religieux, qu’il lui oppose un parti pris qui frise l’hostilité ou le mépris. » Non seulement par principe, mais également par réalisme politique, de par « l’extraordinaire efficacité de l’inspiration religieuse (…) contre les forces de la désagrégation sociale ».
Aujourd’hui, qui ne constate l’inquiétante progression de cette désagrégation, en France et en Europe, que révèle notamment l’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol ? À cet égard, le témoignage du maire de Montfermeil est édifiant par son courage et son constat de la paix, relative, apportée à sa commune qu’il a consacrée au Sacré-Cœur.
À l’autre bout du monde, au Salvador, pays consacré au Sacré-Cœur en 2006 après avoir été la proie des gangs et de la guerre civile, aucune législation ne vient attenter à la loi naturelle, au début comme à la fin de la vie… Cette paix civile, toujours fragile, est un des fruits visibles de la nécessité pour des communautés, des villes, et des pays de se placer sous la protection de ce divin Cœur.
C’est pourquoi, en définitive, le meilleur programme politique n’est pas celui des partis, qui promettent monts et merveilles sans aucune certitude de pouvoir tenir leurs promesses. Mais bien plutôt celui du Christ, qui en apparence n’est pas le plus enthousiasmant, car il passe par la Croix : « Ils le condamneront à mort, ils le livreront aux nations païennes, qui se moqueront de lui, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront » (Mc 10, 33-34). Sauf que trois jours plus tard, la Résurrection constitue la plus éclatante des victoires !
À sa suite, Jeanne d’Arc, dont on prépare le sixième centenaire, peut être appelée la sainte de l’espérance politique, la vraie, celle qui n’inverse pas la hiérarchie entre Dieu et César et assure la Royauté du Christ. Jeanne aussi est passée par la croix, avant d’être réhabilitée, canonisée et nommée patronne secondaire de la France, pour avoir suivi une loi intangible : « Messire Dieu premier servi ! »