Il est difficile autant qu’agaçant de lutter contre un slogan, surtout quand il a quelque apparence de vérité. L’idée que la religion provoque des guerres est devenue, chez nos contemporains, un préjugé quasi indéracinable. Les « guerres de Religion », sont immanquablement évoquées, même quand on ignore en quoi elles consistaient. Et on se prend à rêver avec John Lennon d’un monde sans religion, véritable paradis sur terre, sans s’apercevoir que sur la trentaine de conflits majeurs du XXe siècle, seule une poignée pourrait être imputable à la religion.
Pourquoi ne pas passer ce préjugé invétéré au crible de la critique logique ? À l’origine de cette idée si fréquente, n’y aurait-il pas quelques sophismes ?
Le sophisme de l’accident
Premier sophisme – faute logique – : utiliser la religion pour expliquer des conflits qui ont une autre origine. Si on nous démontrait, chiffres à l’appui, qu’une majorité de personnes meurent dans leur sommeil, nous aurions peut-être du mal à fermer l’œil de la nuit… jusqu’à ce que nous comprenions qu’elles sont mortes durant leur sommeil, mais non à cause de lui. La plupart de ces personnes souffraient d’une maladie grave et le fait de mourir à tel ou tel moment n’en est pas la cause essentielle. De même, il est certain que de nombreux chrétiens ont commis des crimes. Mais la question est : sont-ils criminels, à cause de leur christianisme, ou bien malgré leur christianisme ? La réponse se trouve dans l’enseignement du Christ qui condamne l’orgueil, l’égoïsme, l’envie, la jalousie ou la haine, qui réprouve l’amour du pouvoir, l’attachement à l’argent. La vraie origine des guerres n’est-elle pas dans ces attitudes ? Comment peut-on imputer à la spiritualité chrétienne ce qui lui est si formellement opposé ? Si donc des chrétiens commettent des horreurs, ce n’est pas parce qu’ils sont chrétiens mais parce qu’ils ne le sont pas assez. Car, pour être dévots, les chrétiens n’en sont pas moins hommes et la cause essentielle de la guerre est notre humanité, qui résiste encore à la grâce.
Généralisation abusive
Un second sophisme est d’extrapoler abusivement à partir de cas particuliers. Par exemple, à chaque attentat islamiste, il est de bon ton de critiquer « les religions » en général pour ne pas en stigmatiser une en particulier. Au mépris de toute logique, on affirme que « cela n’a rien à voir avec l’islam », tout en soulignant que toutes les religions sont violentes – « toutes les religions ont leurs extrémistes ». N’est-ce pas injuste de tirer des conclusions sur le christianisme à chaque fois que des membres d’une autre religion font des actes scandaleux ?
Mais on extrapole également lorsqu’on part de guerres entreprises au nom de la foi pour en déduire que le christianisme serait structurellement violent. En partant des croisades, largement fantasmées et vieilles de bientôt 1 000 ans, on finit par conclure que les chrétiens du XXIe siècle sont violents. Mais comme le notait Montesquieu : « C’est mal raisonner contre la religion, de rassembler […] une longue énumération des maux qu’elle a produits, si l’on ne fait de même celle des biens qu’elle a faits. »
Non sequitur, « ça n’en découle pas »
Enfin, pour certains, la religion mènerait nécessairement à l’intolérance et aux relations conflictuelles, pour la simple raison qu’elle proclame une vérité absolue et indémontrable. Croire fermement en la vérité impliquerait l’intolérance. On ne pourrait supporter une autre pensée, une autre manière de vivre… Dans cette optique, seul le relativiste, qui répudie l’idée même de vérité absolue, serait tolérant – ce que dément pourtant l’expérience quotidienne, car quand on ne croit en rien, on croit du moins souvent à son confort et on déteste ce qui vient le déranger.
Ce raisonnement très fréquent est en réalité un sophisme non sequitur. On part d’une idée incontestable et on en tire une autre, comme si elle en dérivait nécessairement. Si l’on dit, par exemple : « ce garagiste m’a fait un bon prix, donc il est honnête », la conclusion est excessive, car on aurait pu conclure l’inverse : « ce garagiste m’a fait un bon prix, pour mieux m’escroquer la fois suivante ». De même, si quelqu’un affirme : « il faut empêcher que les migrants meurent en mer, donc il faut abolir les frontières », il fait un sophisme non sequitur, car on peut admettre la première idée sans accepter la seconde, qui n’en découle pas nécessairement.
Croire en des vérités absolues n’implique pas forcément d’être violent : celui qui pense que la terre est ronde peut supporter les « platistes » sans chercher à les massacrer. On pourrait même tirer la conclusion inverse : quand on est ferme dans ses convictions et qu’on les a bien examinées, on n’est pas troublé par des critiques, mais quand on n’est pas sûr de soi, on est sur la défensive, prenant toute objection pour des attaques personnelles, car on craint intimement la remise en question.
Ce n’est donc pas le christianisme qui est injustement violent, c’est l’homme. Mais il ne faudrait pas pour autant dédouaner les chrétiens de leurs fautes, d’autant plus graves qu’ils ont entendu la voix de leur Maître mais ne l’ont pas écoutée.