Faut-il croire en la Providence ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Faut-il croire en la Providence ?

« S’appuyer sur la Providence, c’est un peu facile, ça évite de prendre ses responsabilités et de se battre pour changer le monde. C’est se laisser guider comme un enfant. » Que répondre à un tel préjugé ?
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« Jésus et les apôtres », détail du plafond de la chambre de L’Incendie du Borgo, 1507-1508, Pietro Perugin, Musées du Vatican, Rome.

© Pascal Deloche / Godong

Au début d’un de ses films de propagande soviétique, La Ligne générale, le cinéaste Sergueï Eisenstein dépeint une hallucinante scène de rogation : soumis à une sécheresse implacable, des paysans marchent en procession pour demander à Dieu qu’il daigne faire pleuvoir. Le célèbre cinéaste montre des fidèles implorant le Ciel en se signant compulsivement et baisant la terre avec frénésie. Les croyants attendent passivement que Dieu les aide, mais la seule réponse qu’ils reçoivent est un soleil de plomb.

Sans beaucoup de finesse, Eisenstein incorpore à ces scènes grotesques des images de moutons bêlants. Un peu plus tard, nous voyons un kolkhoze où vient d’être achetée une écrémeuse. C’est aussitôt l’euphorie, la jouissance collective – à la dimension sexuelle à peine voilée – engendrée par la technique et le matérialisme ! Par cette écrémeuse, les moujiks pénétreront enfin dans le pays du lait et du miel, établi sur terre par la grâce du bolchevisme. Le message est clair, à défaut d’être subtil : ce que les chrétiens ont réclamé vainement au Ciel durant de longs siècles sera apporté par la technique et le communisme.

Se fier à la Providence, c’est être dans une confiance active

Naturellement, Eisenstein se trompe lourdement, tant sur les promesses du communisme que sur le sens de la Providence chrétienne. S’est-il déjà trouvé un prêtre pour dire : « Inutile de chercher à vous soigner ou à consulter des médecins, il suffit d’aller à Lourdes ! » ? La croyance en la Providence divine est tout le contraire de la passivité. C’est une étroite collaboration entre Dieu et les hommes, car si Dieu bâtit la maison, c’est par les mains des ouvriers. D’où la maxime ignatienne : « Agis comme si tout dépendait de toi, en sachant qu’en réalité tout dépend de Dieu. » Être chrétien, ce n’est pas attendre passivement la becquée, mais se démener comme un serviteur fidèle : « Ne croyez pas que lorsque je serai au ciel, je vous ferai tomber des alouettes rôties dans le bec », avertissait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Le chrétien doit agir et il agira d’autant mieux qu’il se sait entre les mains de Dieu. C’est en ce sens que Benoît XVI disait : « L’homme sème avec la confiance que son travail ne sera pas stérile. C’est en effet la confiance dans la force de la semence et dans la qualité du terrain qui soutient l’agriculteur dans son labeur quotidien. » Ce serait plutôt l’incroyant qui, écrasé par la masse des défis qui s’imposent à lui, pourrait se décourager et perdre tout élan ou même, désabusé, s’enfoncer dans le cynisme.

Par la Providence, Dieu nous éduque

Si la Providence désigne la manière dont Dieu gouverne le monde, il faut avouer que celle-ci peut sembler déroutante. Au lieu de tout faire lui-même, il laisse les hommes agir à sa place. Il pourrait apparaître directement à tout homme, ce serait plus pratique. Mais il a voulu être annoncé par notre voix, par notre pauvre témoignage. Il pourrait guérir tout homme, mais il a souhaité passer par nos mains tremblantes. Il pourrait supprimer la faim et bien des calamités, mais il a préféré laisser l’homme partager, ce qui est bien moins efficace, mais bien plus humanisant.

Dans l’Évangile, on voit le Christ se comporter comme son Père. Il fait agir ses disciples mais n’agit pas à leur place. Il n’est pas comme ces chefs qui râlent constamment en disant : « On doit tout faire soi-même ici. » C’est un meneur d’hommes, d’autant plus parfait qu’il s’appuie sur des collaborateurs – « Donnez-leur vous-mêmes à manger » –, qu’il leur partage son pouvoir – « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » –, qu’il les envoie en mission – « Allez, voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ».

« Pas seulement des disciples »

Telle est la pédagogie de Dieu ! Méditant sur la manière dont Dieu gouverne l’univers, saint Thomas d’Aquin affirme que Dieu, dans sa bonté, veut nous faire participer à sa gloire et à son action. Son plan n’est pas de tout régir dans les moindres détails – bien qu’absolument parlant, tout soit dans ses mains – mais de nous faire participer à son action, de nous rendre co-créateurs. Cette communication de sa bonté aux créatures est un effet de la grandeur de Dieu : « Il est plus parfait d’être bon soi-même, et en même temps cause de bonté pour les autres, que d’être simplement bon en soi. C’est pourquoi Dieu gouverne les êtres de telle manière que certains d’entre eux puissent être, en gouvernant, cause de bonté pour les autres. » Et il poursuit : « Ainsi, le véritable maître ne fait pas seulement de ses disciples des savants, mais encore des enseignants. »

Être chrétien, ce n’est donc pas réclamer passivement des bienfaits mais collaborer à l’action créatrice de Dieu. En faisant cela, Dieu agit en éducateur parfait. Il nous donne la possibilité d’être meilleurs en grandissant dans l’amour. D’où cette conclusion de saint Thomas : « Si Dieu gouvernait à lui seul, les choses ne connaîtraient pas la perfection d’être causes. » La Providence de Dieu n’est pas infantilisante, elle est divinisante.