Gustave Thibon, le pieux anarchiste - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Gustave Thibon, le pieux anarchiste

Anarchiste à l’égard des puissances installées, pieux à l’égard de la vérité, le philosophe a traversé le siècle. Il laisse une œuvre de moraliste à nulle autre pareille, nourrie par ses affinités intellectuelles et son amour de la terre.
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Gustave Thibon

Dans un numéro de la revue Permanences en date de mai 2001, paraissait un entretien de Gustave Thibon interrogé par la société Ithaque sur Marie Noël. Gustave Thibon disait : « Marie Noël est avant tout un poète tragique qui a exprimé, à la façon d’une catholique en proie à l’angoisse, au doute, toutes les questions les plus tragiques qui se posent à notre époque. Je vois deux grands témoins du surnaturel à notre époque, Marie Noël et Simone Weil. Elles ne se sont pas connues mais se retrouvent sur l’essentiel, c’est-à-dire sur une pleine prise de conscience de la détresse du monde, de l’absurdité de l’existence. Elles surmontent le problème du mal qu’elles ont senti et vécu en elles parce qu’elles sont ancrées dans l’espérance surnaturelle… »

Ce que Gustave Thibon dit de Marie Noël et de Simone Weil s’applique parfaitement à lui. Il a été, selon les mots de Christian Chabanis, « un témoin de la lumière ». Pour sentir la vérité de ces mots, il faut avoir marché au-dessus de Saint-Marcel-d’Ardèche, dans cette campagne qui domine la vallée du Rhône où la lumière scintille dans chaque feuille d’arbre et brille dans chaque pierre du chemin.
Thibon était un homme de la terre et des vignes autant qu’un lecteur infatigable, cherchant dans chaque être la part de vérité. Son œuvre tout entière pourrait être inscrite sous le titre du plus célèbre de ses essais : Notre regard qui manque à la lumière, titre qui s’explique par la première phrase du livre : « Ce n’est pas la lumière qui manque à notre regard, c’est notre regard qui manque à la lumière. »

« Je doute en Dieu »

Dans le même ouvrage, le lecteur trouve cette réflexion : « N’avez-vous jamais douté de Dieu, m’a-t-on demandé. J’ai répondu : comment douterais-je de celui qui contient mon doute comme la chair contient la blessure ? » Ce qui rejoint le mot célèbre de Sacha Guitry, plus profond qu’une boutade : « Je doute en Dieu. »


La longue vie de Gustave Thibon, 97 ans, couvre le XXe siècle. Ses amitiés intellectuelles sont innombrables. On peut citer Gabriel Marcel, Ernest Psichari, Henri Massis, Jacques Maritain, Charles Maurras, Henri Pourrat, Louis Salleron, Marcel de Corte, Jean Guitton, Jean Ousset, les frères Charlier, etc., sans oublier, bien sûr, Marie Noël et Simone Weil.

Sa curiosité intellectuelle était sans limites. Il lisait le grec et le latin, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand. Il était passionné par la littérature russe et les grandes œuvres des civilisations indiennes et persanes.

« Il est l’inaccessible… »

Sa mémoire prodigieuse lui permettait de citer dans la langue de ces auteurs les passages les plus profonds de Shakespeare, Shelley, Cervantes, Dante, Homère, Virgile, Nietzsche, Mistral… en demandant avec un bon sourire : « Dois-je traduire ? » Il disait avoir rêvé d’établir par de rigoureuses synopses combien les sages, les saints, les poètes et les génies de tous les temps et toutes les époques se retrouvaient sur les sommets.

Il citait à ce propos un vers de Victor Hugo parlant de Dieu : « Il est l’inaccessible, il est l’inévitable », et la réflexion d’une de ses amies carmélites qui lui avait dit en entendant ces mots : « Il a écrit cela Victor Hugo ? Mais comment faisait-il pour ne pas être un saint ? » « Je lui ai répondu, disait Thibon, qu’il s’y entendait très bien à ne pas être un saint. » Ces mots correspondaient tellement à son expérience mystique personnelle que la rencontre entre le poète et la recluse s’établissait spontanément à cette hauteur.

La vie littéraire de Thibon commence par des études sur Klages, Freud et toute la réflexion psychanalytique. Elle se continue avec Nietzsche mais elle est profondément nourrie d’Aristote, de saint Thomas d’Aquin et de toute l’Antiquité. Une telle universalité servie par une langue concise et claire – qui lui permettait d’avoir écrit, à l’âge de 30 ans, les aphorismes dont Gabriel Marcel disait : « Quelques-uns suffiraient à la célébrité d’un grand auteur » – nous donne une œuvre unique dans notre histoire littéraire. Elle place Thibon au rang des très grands moralistes français, dans la lignée de Montaigne et de Pascal. Comme il n’avait pas de diplômes et qu’il avait tout appris par lui-même, il ne fait malheureusement pas partie des auteurs répertoriés par les universités.

« Fantaisiste et rigoureuse »

Lorsqu’on lui disait : « Dans ses notes intimes, Marie Noël a dit : Je veux que mon œuvre soit comme la vie, fantaisiste et rigoureuse à la fois », Thibon répliquait que c’était une très belle définition de la vie. C’est aussi une très belle définition de son œuvre. À l’image de ce qu’il écrivait, il était anarchiste de comportement à l’égard des puissances installées et des conformismes, et pieux à l’égard de tout ce qui comportait une part de lumière et de vérité.

On peut, et on doit, revenir à son œuvre comme on revient s’abreuver à la source. Sa langue et sa pensée coulent comme une eau claire.