« Dimanche et lundi de la Pentecôte. Deux jours libres, je vais aller à Chartres. » Dans cette phrase courte, presque anodine, extraite d’Étoile au Grand Large, Guy de Larigaudie laisse transparaître trois qualités qui constituent l’essence de sa belle personnalité – la spontanéité, la simplicité et l’énergie – toutes mises au service de ce Dieu vers qui il aime tant marcher sur les routes beauceronnes.
« Une retraite »
Fauché par les balles allemandes à l’âge de 32 ans, le 11 mai 1940, sur une hauteur boisée à proximité de Musson (Belgique), ce jeune Périgourdin – sans doute une des plus belles figures du scoutisme français – reste un des pèlerins les plus inspirants de ce chemin qui mène vers celle qu’il appelle la « cathédrale de beauté », comme en témoignent les chapitres à son nom qui n’ont pas manqué tout au long de l’aventure du pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté. Pour ceux qui suivent son exemple, il laisse une façon très profonde de vivre cette marche « comme une retraite fermée, avec [s]on âme pour cellule et la forêt pour monastère ».
La vocation sacerdotale, qui l’a conduit quelque temps entre les murs du séminaire d’Issy-les-Moulineaux à l’aube de ses vingt ans, n’est pas pour lui. Il étouffe entre les murs austères. Après une période difficile d’interrogations et de doutes, il devient finalement journaliste pour le magazine des Scouts de France qui connaît alors une large diffusion. C’est à cette époque qu’il publie des contes et des romans aux mythiques éditions du Signe de Piste. Il réalise aussi des reportages, et entreprend de partir à l’aventure sous toutes les latitudes : l’Australie, l’Amérique, la Polynésie, et surtout le fameux raid Paris-Saïgon, entrepris avec son ami Roger Drapier dans une vieille Ford décapotable en 1937-1938. Les nuages s’accumulent alors sur l’Europe. Malgré ces sombres perspectives, Guy de Larigaudie veille à maintenir intacte la joie chrétienne qui l’anime et qu’il entretient sur la route de Chartres, découverte quelques années plus tôt avec ses chers routiers. « Va à Chartres. On en revient meilleur », écrivait-il encore. Cette maxime toute simple reste toujours aussi vraie.
« Dire son chapelet…
… pour les gens rencontrés au bord de la route ;
… pour ces bohémiens crasseux et cette petite romanichelle en oripeaux multicolores qui doit chaparder les volailles dans les fermes ;
… pour ce cheminot qui chemine comme moi, mais parce que lui sans doute ne peut pas faire autrement ;
… pour ces soldats rencontrés au camp de Satory et qui me crient que le goût de la marche me passera au service militaire ;
… pour ces touristes insupportables qui parlent tout haut dans la chapelle du village de Dampierre ;
… pour cet ouvrier qui m’a lancé au passage : « En v’là un qui joue au dur » ;
… pour ces petits scouts qui, pour que je les accompagne, m’ont indiqué si gentiment un raccourci qui m’allonge de trois kilomètres ;
… pour ces belles dames élégantes qui, de leurs voitures, sourient au pauvre porteur de sac. »
Extrait d’Étoile au Grand Large (1943, édition posthume).