Quelles leçons convient-il de tirer de ce qui s’est passé à Sciences Po Paris, la semaine dernière ? En soi, l’occupation par des étudiants d’extrême gauche d’un bastion universitaire s’inscrit dans une histoire qui compte nombre d’épisodes analogues. Et ce n’est pas non plus la première fois que le conflit israélo-palestinien a des retombées chez nous et suscite des divisions d’ordre politique. Mais une analyse plus rigoureuse oblige à s’interroger sur les vraies dimensions de l’événement. Tout d’abord, le lieu même de la manifestation n’est pas anodin. Cette institution fondée après la défaite de 1870 avait pour mission de réarmer moralement la France, avec la formation de l’élite dirigeante du pays. Une mission dont la situation actuelle de la France aurait grand besoin, mais qui se trouve en grand péril par grave dérive idéologique.
Et puis il y a cette correspondance entre le blocage de l’institut de la rue Saint-Guillaume et les affrontements violents qui ont lieu en ce moment dans les universités américaines, avec le même objet : la condamnation d’Israël et le soutien inconditionnel à la cause palestinienne, telle qu’elle est défendue par le Hamas ou le Hezbollah. On peut comprendre l’émotion légitime à l’égard du sort de la population de Gaza, mais cela ne saurait justifier l’appui à des mouvements qui veulent la disparition de l’État d’Israël, son effacement total du territoire palestinien.
Force est alors de reconnaître derrière l’antisionisme le plus virulent l’hostilité à l’égard de l’identité juive, insupportable pour les tenants d’un islamisme rigoureux. De ce point de vue, c’est bien d’antisémitisme qu’il faut parler, même si le terme de judéophobie avancé par Pierre-André Taguieff conviendrait mieux. Car c’est bien le judaïsme qui est à l’origine de l’État d’Israël et qui continue à justifier son existence, en dépit du laïcisme de Théodore Herzl, fondateur du sionisme, en désaccord sur ce point avec le grand philosophe Martin Buber. Faut-il rappeler que ce dernier, fervent défenseur de l’identité culturelle du peuple de la Promesse, était aussi l’avocat d’une coexistence pacifique entre Israël et les Palestiniens – comme le réclame depuis 1948 le Saint-Siège.
Universités : déni d’un héritage
Mais cette coexistence n’est plus le souci primordial de ceux qui refusent de reconnaître comme terroriste un mouvement comme le Hamas. La radicalisation idéologique qui s’est produite à ce propos aux États-Unis et qui gagne de plus en plus la France, notamment dans les universités, recèle une dimension civilisatrice, au sens de déni d’un héritage.
C’est ce qu’on appelle le wokisme, avec ses effets dévastateurs. Il est relayé par un extrémisme politique souvent qualifié d’islamo-gauchiste. Ce qualificatif a tout de ce qu’on appelle un oxymore, c’est-à-dire une expression contradictoire. Comment concilier les dérives sociétales inspirées par un individualisme absolu, le wokisme, avec les exigences morales de l’islam, notamment à l’égard de la condition féminine ? Mais cette contradiction ne pèse pas, dès lors qu’il s’agit de s’attaquer aux fondements même de l’héritage occidental, avec ses références bibliques. C’est bien pourquoi ce qui se passe à Sciences Po doit retenir notre attention vigilante.