La société moderne est-elle un bon terreau pour développer les vertus ?
Alexandre Havard : Il faudrait d’abord que l’on reparle d’elles… Aujourd’hui, on préfère parler de « valeurs », car « vertu » serait trop naïf. Or la valeur est extérieure à soi : la famille, la patrie… Ce sont évidemment des réalités à valoriser, mais il faut garder en tête que la vertu possède une particularité que la valeur n’a pas : elle est une force dynamique qui permet le déploiement des valeurs. Qu’est-ce qu’une personne qui parle de « patrie » et de « défendre son pays » mais qui ne pratique pas la vertu de courage, c’est-à-dire la capacité de résister et d’être audacieux ? Et que dire de ceux qui font de Dieu une simple valeur, sans pratiquer la justice envers leurs amis et leur famille, c’est-à-dire sans les écouter, leur pardonner et les aimer en vérité ? Une piété sans vertus humaines revient à une simple récitation mécanique d’exercices de foi, un comportement de grenouille de bénitier.
Les vertus théologales sont-elles un simple complément aux vertus cardinales ?
Foi, espérance et charité sont essentielles, car il n’y a pas de salut sans la grâce. En revanche, un païen qui ne connaît pas Jésus-Christ mais qui fournit un effort pour pratiquer les vertus humaines se rapproche involontairement de Dieu, puisque la vertu est une participation à la vérité, au bien et à la beauté, qui sont Dieu. De surcroît, il se met en condition de recevoir les trois vertus théologales. C’est d’ailleurs pour cette raison que les premiers convertis de l’histoire du christianisme étaient des personnes qui fournissaient déjà des efforts pour développer les vertus humaines : il a « suffi » qu’elles reçoivent le don de la foi !
La pratique des vertus naturelles met en condition de recevoir les vertus surnaturelles, qui viennent purifier les vertus naturelles en les transfigurant. La sainteté est une synergie d’excellence humaine et surnaturelle. On retrouve cette excellence inséparable chez les saints, qui ont tous pratiqué vertus humaines et surnaturelles.
De toutes les vertus, vous insistez sur l’importance de la magnanimité… Pourquoi ?
La magnanimité c’est, selon saint Thomas d’Aquin citant Aristote, la vertu de « celui qui se croit digne des plus grandes choses ». Or nous sommes tous fils de Dieu et, par conséquent, tous dignes des plus grandes choses ! Saint Thomas voit dans la magnanimité la vertu de l’espérance humaine – à ne pas confondre avec la vertu théologale de l’espérance surnaturelle, qui est, avec la foi et la charité, un don de Dieu, gratuit, que nous ne pouvons acquérir par nous-mêmes.
Cette espérance humaine consiste à espérer dans les dons naturels que Dieu nous a donnés, ainsi que dans ceux que nous avons reçus par nos parents, notre culture, la biologie… Être magnanime revient donc à avoir foi en soi-même. Malheureusement, beaucoup de chrétiens rejettent la magnanimité sous prétexte d’une humilité mal comprise qui est, en réalité, de l’ingratitude. La bonne humilité consiste à évaluer nos limitations et nos forces en vérité, et non pas à rejeter le talent naturel que Dieu nous a donné. Car alors, nous tombons dans ce que l’on nomme la pusillanimité.
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