Certains disent que c’est notre Iliade. Ce pourrait être aussi notre Odyssée, tellement les héros ont la tête tournée vers « France la douce », où ils rêvent de revenir. C’est une chanson de geste qui, comme toutes les grandes œuvres du Moyen Âge, est restée anonyme, même si le dernier vers dit : « Ainsi s’achève la chanson que Turoldus déclina. » Les érudits disputent de savoir si Turoldus est le chantre, le poète ou simplement le scribe qui transcrivit la Chanson.
Ce texte, en vieux français mais très accessible à la lecture, est comme un poème fondateur de l’histoire des Francs. Il aurait été écrit au début du XIe siècle qui voit le commencement d’une renaissance religieuse, intellectuelle et artistique, ainsi que l’établissement du pouvoir politique capétien qui fonde le royaume de France.
« Et Ganelon en fut saisi d’angoisse »
Deux personnages dominent cette épopée : Charlemagne, qui est présenté comme vieux mais toujours conquérant, et son neveu Roland, qui périra à Roncevaux. Charlemagne a conquis toute l’Espagne qui était aux mains des musulmans. Seule Saragosse reste au roi Marsile, qui envoie à l’empereur une députation pour faire la paix. Sur le conseil de Roland, Charlemagne lui retourne Ganelon comme émissaire. Or, la mission est très périlleuse… « Et le comte Ganelon en fut saisi d’angoisse », dit la Chanson. Ganelon jure de faire payer à Roland sa désignation : il s’entend avec Marsile pour que celui-ci écrase l’arrière-garde de l’armée franque commandée par le neveu de Charlemagne.
Les Sarrasins sont bien plus nombreux que les Francs. Olivier, compagnon de Roland, supplie le chevalier d’appeler Charlemagne en sonnant de l’olifant mais Roland s’y refuse : ce serait une lâcheté. L’archevêque Turpin harangue alors les Français : « Seigneurs barons, Charles nous a laissés ici : pour notre roi, nous devons bien mourir. Aidez à soutenir la Chrétienté ! Battez votre coulpe et demandez à Dieu merci ; je vous absoudrai pour sauver vos âmes. Si vous mourez, vous serez de saints martyrs, vous aurez des sièges dans le grand paradis. »
La bataille s’engage. Roland, Olivier et Turpin font merveille… sans pouvoir arrêter le flot insurmontable de l’armée ennemie. Roland sonne enfin de l’olifant, si fort qu’il fait éclater sa tempe. Puis il se prépare à mourir. En vain il tente de briser son épée, Durandal, pour qu’elle ne tombe pas aux mains des Arabes. Alors, « le comte Roland se couche sous un pin : vers l’Espagne il a tourné son visage […]. Il a offert à Dieu son gant droit. Saint Gabriel l’a pris de sa main. Sur son bras, il tient sa tête inclinée ; les mains jointes, il est allé à sa fin. Dieu lui envoie son ange chérubin et saint Michel du Péril ; avec eux y vint saint Gabriel. Ils portent l’âme du comte en paradis. »