Emmanuel Le Roy Ladurie : un âge d'or de l'histoire - France Catholique
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Emmanuel Le Roy Ladurie : un âge d’or de l’histoire

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Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-2023) en 2014.

Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-2023) en 2014.

© Claude Truong-Ngoc / CC by-sa

La mort d’Emmanuel Le Roy Ladurie, le 22 novembre, m’a d’abord ramené à mes souvenirs personnels, les conversations que j’ai pu avoir avec lui et qui témoignaient d’une grande proximité d’esprit. Il est vrai que j’ai connu l’historien à une période de sa vie où il avait considérablement évolué par rapport à ses engagements de jeunesse. On était très loin de son adhésion d’après-guerre au Parti communiste, et même à sa période de militance au P.S.U. (Parti socialiste unifié) du premier Michel Rocard. Je me souviens pourtant d’une réunion à la Mutualité qu’il présidait, en porte-parole de la gauche, dont il était une autorité intellectuelle reconnue.

Retour au spirituel ?

Comment s’est creusée la distance par rapport à ce passé dans lequel il ne se reconnaissait plus du tout ? Lui-même a livré une partie de son parcours dans un ouvrage qu’on pourrait appeler d’ego-histoire, Paris-Montpellier. P.C.-P.S.U. (1945-1963). Mais Pierre Nora, qui fut son éditeur, est d’avis qu’il n’a pas tout dit de son cheminement personnel qui relève du secret et sans doute de sa relation avec son père qui fut, lui, une des figures de la droite. Je me pose cependant une question. Ce secret relevait-il uniquement ou principalement d’une mutation des convictions politiques ? N’avait-il pas une relation plus intense encore avec un retour au spirituel et peut-être même ce qu’on appelle une véritable conversion ? Je serais forcément prudent sur ce terrain, ne disposant d’aucun témoignage de l’intéressé. Mais il faut bien comprendre pourquoi, dans la dernière partie de sa vie, Emmanuel Le Roy Ladurie s’est révélé en catholique déclaré.

À ce point de vue, ma première grande conversation avec lui, alors que nous étions voisins dans un salon du livre à Paris, m’avait convaincu du vif intérêt qu’il portait à l’évolution de l’Église au lendemain du concile. Il m’avait même écrit, après publication de mon livre intitulé L’Église catholique – 1962-1986. Crise et renouveau (1986), pour me signifier son accord et aussi son inquiétude. Il n’était pas du tout sur la même longueur d’onde que Michel de Certeau qu’il avait bien connu dans le milieu universitaire mais dont il récusait totalement les tendances idéologiques. Certeau qui prônait une « rupture instauratrice, mettant fin à 2 000 ans d’histoire et à l’Église institution elle-même ».

Identité, mémoire et histoire

La postérité, d’évidence, retiendra la stature de l’historien, celui-ci appartenant à cette sorte d’âge d’or qu’a connu l’historiographie française, lors de ce que Pierre Nora a appelé les Trente Glorieuses.

Avec Jacques Le Goff, Georges Duby, François Furet, Pierre Chaunu, Philippe Ariès et quelques autres, l’auteur de Montaillou, village occitan et de ses ouvrages sur le climat compte vraiment parmi les grands. Je cite Montaillou parce qu’il est le plus célèbre de ses essais mais aussi parce qu’atteignant un tirage record, il parvint à élargir considérablement le cercle des lecteurs d’ouvrages historiques. Mais il faut ajouter à cela le caractère inédit de cet âge d’or, qui s’est beaucoup inspiré déjà de la révolution produite par l’école des Annales, s’éloignant d’un récit purement politique pour s’intéresser aux mentalités et aux mœurs. Pierre Nora, qui avait été leur principal éditeur, avait montré comment les notions d’identité, de mémoire et d’histoire s’étaient comme confondues. C’est bien ce qui ressort de Montaillou, qui est une sorte de traité d’anthropologie vivante, où les êtres sont saisis dans leur originalité et la culture populaire dans ce qu’elle a de complexe et de profond. Le miracle, c’est de nous rendre familiers nos ancêtres du Moyen Âge.

Il ne faut pas oublier non plus qu’Emmanuel Le Roy Ladurie s’est montré étonnant précurseur comme spécialiste du climat – dont il a étudié depuis l’an 1 000 les phases de glaciation et de réchauffement –, anticipant sur un souci écologique omniprésent. Mais démontrant aussi que les changements climatiques ne résultaient pas seulement de l’activité humaine.