Il y a du Gauguin, du Cézanne, du Balthus, du Sérusier, du Maurice Denis chez ce moine-peintre, mais le ton est néanmoins résolument personnel.
Ce qui éclabousse littéralement l’œil dès qu’on entre dans la galerie, c’est la beauté de ses paysages. Quelques-uns déploient, sous le soleil ardent de l’été, des prés d’un vert émeraude éclatant et des champs de blé déroulant leur tapis jaune d’or à flanc de colline. Ailleurs, des peupliers se reflètent à la surface d’un étang, mêlés au bleu du ciel et à quelques nuages. Un clocher de village se dresse derrière l’ourlet d’un coteau, le vert des prairies tournant au turquoise tandis que les ombres violettes du soir s’allongent, projetées par une haute colline. Dans ses vues de sous-bois, le réalisme s’estompe pour laisser la place à une palette nettement nabie : l’allée est mauve, les frondaisons sont bleues de cobalt. Ou ici, l’allée est d’un turquoise insolent, et les troncs des platanes roses. Ailleurs, les champs sont roses et violet très pâle, et les feuillages des arbres roses aussi.
Mais beaucoup d’autres sont des paysages d’hiver, les pentes des montagnes tapissées de neige d’où émergent les arbres, feuillus ayant encore quelque feuillage automnal accroché à leurs branches, ou les sapins et épicéas aux sombres silhouettes, tous projetant leur ombre bleue sur l’épais tapis immaculé. Une nature morte de pommes et poires avec un vase en porcelaine et un torchon blanc, à la Cézanne, voisine avec la croisée d’une fenêtre qui découvre une vue de montagne sous la neige : combinaison inédite en peinture.
Ses paysages respectent la loi du nombre d’or, si équilibrée pour l’œil, ce qui n’empêche nullement la variété des compositions. On serait embarrassé de dire lequel on préfère. On est entraîné dans une louange, une allégresse devant la Création.
Le clin d’œil à Maurice Denis est perceptible, sans aucun plagiat, dans des toiles évoquant la vie quotidienne, comme la jeune femme en train de repasser son linge, avec une casserole sur le feu, qui reçoit la visite d’un ange. Un livre de prière est ouvert sur la table à repasser, à portée de la main. C’est bien sûr une Annonciation figurée d’une manière nouvelle, mais aussi l’irruption du surnaturel dans la vie familiale, à la Maurice Denis. Le Repas à Emmaüs est lui aussi transposé à la Denis, avec les trois pèlerins vêtus de grosses pèlerines marron, et le Christ, au centre, coiffé d’un béret basque. Un des deux disciples est la femme du couple, rappelant Maurice et Marthe Denis.
Sur une autre toile, Léon Bloy, avec son costume élimé de velours noir (« On me reconnaît à ce que je suis vêtu de velours comme un charpentier »), sa grosse moustache et sa mèche blanche rebelle tombant sur le front, tout comme sur ses photos de 1910, à 64 ans, dans le petit jardin hirsute de son humble logis de Montmartre, est assis à sa table de jardin avec un épais cahier ouvert devant lui, le volume de son Journal qu’il est en train d’écrire : Le vieux de la montagne. Le Mendiant Ingrat nous fixe de ses gros yeux d’un bleu de myosotis, un regard d’enfant qui ne demande qu’à donner son amitié. L’imprécateur était un faux violent et le fond de son cœur, d’une extrême douceur. Réginald a placé derrière le Pèlerin de l’Absolu un Christ à la manière de Gauguin. Mais ce Crucifié a un visage d’enfant. Un de ces milliers d’enfants martyrisés, maltraités, exploités, abusés à travers les siècles et les continents, pervertis, détournés de Dieu. Son visage est d’une infinie douceur d’agneau immolé, accordée à celui de Bloy.
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Père Réginald, œuvres récentes. Galerie Durev, 56 bd. de Latour Maubourg, Paris VIIe, du 5 au 8 décembre de 12 h. à 20 hs.