« La beauté : reflet de la liturgie céleste » - France Catholique
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Année sainte 2025 : la porte de l'espérance
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« La beauté : reflet de la liturgie céleste »

Loin d’être un simple goût de luxe, les Trésors de France reflètent l’attachement du clergé et des fidèles à la liturgie. Entretien avec Mathieu Lours, historien de l’architecture et spécialiste des cathédrales.
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Reliquaire de la Sainte Ampoule, 1823, conservé au Trésor du Palais du Tau à Reims

À partir de quand les Trésors sont-ils apparus dans les grandes églises de France ?

Mathieu Lours : Ils apparaissent très tôt : dès les XIIe-XIIIe siècles, nous trouvons la mention de chambres fortes ou sacristies protégées dans ces édifices. Déjà à cette époque, il y a du vol dans les églises ! Nous devons généralement ces Trésors aux dignitaires ecclésiastiques : l’évêque, les membres du chapitre, qui pour certains viennent de familles riches et offrent ces objets à la collectivité. Ou bien alors à la collectivité elle-même, les chanoines et les moines, qui décident de l’achat de tel nouvel objet. Ou encore à un pieux laïc qui fait une donation, soit de l’objet lui-même, soit du matériau – des pierres précieuses, de l’or… Dans ce dernier cas de figure, charge aux ecclésiastiques de faire réaliser les objets, de manière qu’ils soient assortis aux autres pièces du Trésor.

Les objets qui intégraient le Trésor avaient-ils systématiquement vocation à servir la liturgie de l’édifice ?

Toujours, mais dans certaines occasions bien précises. Le Trésor, c’est aussi une manière de faire de l’effet : on ne va se servir de certains objets qu’une fois par an, comme les reliquaires, qui ne sont exposés que lors de la fête des saints. La rareté de l’utilisation du Trésor est indissociable de l’importance même qu’on lui accorde. Une preuve du lien entre Trésor et liturgie est que, généralement, la pièce la plus remarquable est un calice.

La richesse de ces pièces ne manque jamais de raviver une vieille critique : la débauche de moyens dans ce qui serait l’attrait du luxe… Quel regard portez-vous là-dessus ?

Cette critique a toujours existé : saint Bernard de Clairvaux et Pierre le Chantre sont les hérauts de ce genre de réflexion, dès les XIIe-XIIIe siècles ! Évoquant les grandes églises – mais parlant également, me semble-t-il, de ce qu’elles contenaient –, ils appelaient à une nécessaire sobriété. Pourtant, ce qui justifie le Trésor, c’est que les commanditaires ont la conviction que les grands sacrifices plaisent à Dieu. Ainsi, en sacrifiant à Dieu des éléments très chers, on réalise un geste chrétien, car on lui offre quelque chose qui aurait pu servir à une démarche d’orgueil… Nous sommes bien loin de l’orgueil, ou du pur plaisir de célébrer avec un calice en or massif ! Cette richesse s’appuie également sur l’idée de la préfiguration de ce qui se déroulera au Ciel : la beauté des objets témoigne de la vraie nature de la liturgie céleste. Ces objets s’inscrivent dans une notion de pérennité, puisqu’il s’agit de célébrer avec eux jusqu’à la fin des temps ! Même si on sait qu’en cas de coup dur, pour aider le roi, la France ou le diocèse, il faudra les fondre, comme le firent les chanoines de Sens lors de la guerre de Sept Ans, sous Louis XV.

Justement, comment les Trésors ont-ils traversé les siècles ?

On relève deux ruptures majeures, associées à deux hécatombes : les guerres de Religion et la Révolution française. Lors de la première, les protestants pillent et détruisent les Trésors d’à peu près 200 édifices. Lors de la Révolution française, les Trésors sont fondus ou attribués au profit de la nation. C’est pour cette raison que nos Trésors contiennent, pour l’essentiel, des pièces du XIXe siècle.

Retrouvez la suite de l’entretien dans notre magazine.