Comme pour tant de choses, nous réduisons le temps et la miséricorde à nos mesures humaines. En ce qui regarde le purgatoire, à la fois état dans une durée et dans un lieu propres, notre intelligence vacille et notre foi tremble.
Le temps de la purification existe bien puisqu’il y a un commencement et une fin – en cela, il se rapproche sans doute de notre expérience humaine – mais ce temps n’est plus inscrit dans notre chronologie terrestre. L’opération purgative prend un certain temps et occupe un certain espace. Saint Thomas d’Aquin nous aide à comprendre ce qu’est la caractéristique de la durée au purgatoire. Dieu seul est éternel. Les créatures spirituelles qui sont appelées à correspondre de plus en plus à Dieu ne seront jamais éternelles au sens premier du terme, même dans l’état béatifique, puisqu’elles ont eu un commencement et qu’elles demeureront toujours sous la dépendance du geste créateur. Le Docteur angélique parle alors d’ævum pour exprimer ce troisième terme entre le temps et l’éternité : « Le temps comporte l’avant et l’après ; l’aevum n’a pas d’avant et d’après mais l’avant et l’après peuvent l’accompagner ; enfin l’éternité n’a pas l’avant et l’après et ne les admet en aucune manière » (Somme théologique, Ia, q. 10, a. 5).
Le mouvement est lent et graduel dans ce purgatoire puisque l’homme s’avance ainsi vers une libération. Dante l’a magnifiquement exprimé dans La Divine Comédie, justement en se promenant dans le purgatoire, de corniche en corniche jusqu’aux portes du ciel : « Vite, vite, que le temps ne se perde par peu d’amour » (« Le Purgatoire », chant XVIII, vers 103-104). Ce temps, perçu par les âmes du purgatoire autrement que nous, ne peut que conduire à l’espérance et à la joie, puisque les souffrances endurées le sont dans l’attente de la délivrance et de l’entrée dans la lumière.
La station du Bon Larron
Malgré tout, nous aimerions échapper à cette purification par le feu. Sauf à être saint, – donc à avoir vécu de façon héroïque toutes les vertus et d’y avoir persévéré – ou à être martyr, il semble bien difficile d’éviter ce passage. Même la promesse de Notre-Seigneur au Bon Larron d’être en sa compagnie le jour même au paradis n’écarte point une station, même brève dans cet ævum du purgatoire.
L’essentiel est de savoir que la promesse d’entrer au paradis est acquise une fois qu’un pied s’est aventuré dans cet état du milieu. Ainsi faut-il entendre la révélation du saint Curé d’Ars à une dame angoissée par le sort de son mari qui s’était suicidé en se jetant d’un pont, à savoir que son repentir entre son saut et sa mort lui avait gagné le salut, mais non sans purification. Sainte Catherine de Gênes, dans son Traité du Purgatoire, parle du « contentement » éprouvé par les âmes ainsi torturées par le feu de l’amour salvifique.
Il faut lire l’extraordinaire expérience de cet ami du Padre Pio, Fra Daniele Natale, qui a passé trois heures en purgatoire et qui est revenu à la vie : la douleur qu’il y ressentit n’était rien en comparaison de la perspective du paradis. Et il faut garder au cœur cette parole de Notre-Seigneur : « Quiconque aura donné à l’un de ces plus petits seulement un verre d’eau froide à boire, parce qu’il est de mes disciples, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense » (Matthieu 10, 42). Ne vaut-il pas la peine de passer du froid à la chaleur divine en passant par la flamme de la purification ?