«S’il m’avait été donné de croire en Dieu et si Dieu m’avait fait signe un jour brusquement, avait cogné à ma vitre un soir de solitude et d’inaction, je crois qu’à l’instant même, sans l’ombre d’une hésitation, j’eusse déposé les filets de mes obligations quotidiennes qui m’enserrent et m’étouffent intolérablement, pour le suivre et m’en remettre à lui avec une confiance aveugle. » On prend son bien où on le trouve. Ces lignes de Dominique Bernard sont tirées d’un texte publié par Charlie Hebdo. Un ami du professeur assassiné devant son établissement, à Arras, a voulu adresser à ce journal un témoignage destiné à rendre compte de la profondeur d’une personnalité, sans craindre d’aborder la question la plus ultime. Il semble, en effet, que Dominique Bernard avait abandonné la pratique religieuse à l’adolescence, non sans laisser ouvert le sens ultime de son existence. Ce grand littéraire n’ignorait pas l’Écriture sainte.
Quelle espérance ?
On comprend que sa famille ait voulu pour lui des obsèques religieuses, même si elles ne comportaient pas la célébration de l’Eucharistie. Comment ne pas associer le sacrifice de cet enseignant à la liturgie qui, mieux que toute sorte de rituel, rend compte de la vie donnée au service des autres, en l’espèce les jeunes dont il avait la garde ? Dans son homélie, l’évêque d’Arras, Mgr Olivier Leborgne, s’interrogeait sur la signification de l’événement tragique, en reprenant l’interrogation de Kant : « Que nous est-il permis d’espérer ? » En effet, devant cette mort brutale « nous sommes dépouillés, démunis devant l’odieux et l’inacceptable. Et beaucoup sont traversés par la peur ou par une révolte qui ne semble devoir trouver d’achèvement que dans la haine et la vengeance, ou la résignation ou le repli sur soi. »
On ne pouvait attendre d’un évêque que la réponse chrétienne, évangélique, sans éluder les exigences de la justice : « La justice qui permet de faire la vérité en est une composante indispensable, aussi bien celle devant laquelle l’assassin de Dominique devra rendre compte de ses actes, que celle qui est exigée dans la vie sociale ou les relations internationales. » C’était, en quelques mots, évoquer les circonstances qui ont accompagné l’assassinat de l’enseignant. La guerre qui a repris au Moyen-Orient avec des risques d’embrasement de toute la région, la menace terroriste qui continue à peser sur notre pays avec l’expansion d’un djihadisme meurtrier.
Que peut changer à une histoire décidément tragique une liturgie accompagnée des plus belles paroles, celles qui associent l’espérance à l’amour divin, si bien exprimé par saint Paul ? Peut-être, simplement, ce qui fait la différence ontologique, anthropologique, sacrée, d’une existence supérieure à ce mystère d’iniquité, contre quoi se dressera toujours la croix du rédempteur. Stat crux dum volvitur orbis : « Pendant que le monde tourne, la croix demeure. » Telle est la devise des chartreux. Elle est l’expression même de ce qui constitue l’essence du christianisme, cette dramatique divine où Dieu s’associe au tragique de l’histoire.