D’abord, il faut détruire une légende, celle du gros monsieur impotent qui serait revenu dans les fourgons de l’étranger.
En fait, Louis XVIII, qui était le frère cadet de Louis XVI et l’oncle de Louis XVII, a toujours eu un sens très aigu de son devoir. Il avait eu l’occasion de l’exprimer lorsqu’en 1809 Napoléon Ier lui fit transmettre une proposition par laquelle il échangeait une retraite confortable pour Louis XVIII et sa famille contre la renonciation par celui-ci à toute prétention au trône. À l’époque, celui qui deviendra Louis XVIII est en exil. Il vit de l’aumône du tsar, de l’empereur d’Autriche, du roi de Prusse et du roi d’Angleterre. Napoléon, par la perspective de son mariage avec Marie-Louise, va devenir le neveu par alliance de Louis XVI et l’aristocratie française se rallie peu à peu à lui.
« Les desseins de Dieu »
De son exil, le Bourbon lui fait répondre : « Il se trompe s’il croit m’engager à transiger sur mes droits. Loin de là ; il les établirait lui-même, s’ils pouvaient être litigieux, par la démarche qu’il fait en ce moment. J’ignore les desseins de Dieu sur ma race et sur moi, mais je connais les obligations qu’il m’a imposées par le rang où il lui a plu de me faire naître. Chrétien, je remplirai ces obligations jusqu’à mon dernier soupir. Fils de saint Louis, je saurai, à son exemple, me respecter jusque dans les fers. Successeur de François Ier, je veux du moins dire avec lui : “Nous avons tout perdu fors l’honneur”. »
Le marquis de Roux, qui cite ce texte dans son ouvrage La Restauration (Arthème Fayard & Cie Éditeurs) ajoute : « Nul n’aurait pu dire si le proscrit mêlait à cette foi beaucoup d’espérance. Il semblait abandonné de tous. »
Cependant, « Monsieur », frère du roi-martyr, tentait de maintenir une apparence de maison royale et les événements allaient se retourner en sa faveur lorsqu’au printemps de 1812, il vit arriver un jeune Français d’illustre naissance qui venait lui assurer qu’à Paris un parti puissant souhaitait et préparait sa restauration. Ce jeune homme était Alexis de Noailles, fils du vicomte de Noailles qui avait figuré à la Constituante parmi les gentilshommes novateurs et responsables de la nuit du 4 Août où tous les privilèges avaient été abolis. Le vicomte de Noailles avait fait la campagne de 1792 avec son beau-frère La Fayette, puis était mort de fièvre jaune dans l’expédition de Saint-Domingue. Le marquis de Roux dit de lui : « Alexis n’avait jamais quitté la France. Sa mère morte sur l’échafaud, il avait été élevé par sa tante la duchesse douairière de Duras et il associait une piété ardente aux idées constitutionnelles de son père. »
Sociétés secrètes
Il représentait ainsi les deux courants qui voulaient la restauration du roi : d’un côté, les catholiques fervents qui faisaient la guerre à Napoléon parce qu’il avait emprisonné le pape, et les constitutionnalistes qui, derrière Madame de Staël et Benjamin Constant, représentaient les libéraux déçus de l’Empire et regroupaient tous les anciens républicains. À l’époque, la France et l’Europe sont littéralement couvertes de sociétés secrètes, ce sont elles qui préparent les événements et les conduisent. Les catholiques légitimistes se sont groupés dans une société « Les Chevaliers de la foi », constituée de bannières locales dirigées par un banneret et qui peuvent être mobilisées à tout moment. Il est romanesque de trouver dans la préparation du retour des Bourbons Aimée de Coigny, celle qui fut prisonnière avec André Chénier et que celui-ci décrit dans son poème La jeune captive : « Je ne suis qu’au printemps […]/ Je ne veux point mourir encore. » La jeune captive était de mœurs fort libres et avait beaucoup de charme. Elle s’employa à ramener à la cause du roi ceux qui avaient le plus à craindre d’un retour des Bourbons, et notamment Talleyrand à qui elle promit « un gros roi faible qui sera bien forcé de donner et d’exécuter de bonnes lois ».