Le geste avait marqué les esprits : debout sur le pont d’un bateau, le pape François jette une couronne de fleurs dans la Méditerranée, au large de l’île de Lampedusa, en mémoire de tous les migrants morts noyés en essayant de rejoindre les côtes européennes. Pour son premier voyage apostolique, le 8 juillet 2013, le pape avait ainsi choisi l’île italienne, symbole de la crise migratoire aux portes de l’Europe. Dans son homélie, il avait ce jour-là dénoncé la « mondialisation de l’indifférence [qui] nous a ôté la capacité de pleurer » et une « anesthésie du cœur ». Ce voyage inaugural, comme d’autres actes telle l’inauguration en 2019 d’un monument en bronze en hommage aux migrants, place Saint-Pierre à Rome, ont pu brosser le portrait d’un pape « immigrationiste ». Mais, comme souvent, la réalité est plus nuancée et François s’inscrit en réalité dans les pas d’un magistère de l’Église se tenant sur une ligne de crête.
Nouveau phénomène
La Révolution industrielle, qui voit au XIXe siècle des millions d’Européens partir vers le « Nouveau Monde », pousse Rome à se pencher sur la question des migrations. À l’époque, les nouvelles envoyées au Saint-Siège par les prélats d’Amérique alertent sur la situation déplorable que traversent les émigrés européens, au point que le pape Léon XIII signe en 1888 la lettre apostolique Quam ærumnosa déplorant « la triste situation de ceux qui émigrent chaque année en masse », dont le voyage se révèle « plein de périls et d’épreuves, car ils tombent pour la plupart entre les mains de marchands avares, dont ils sont en quelque sorte les esclaves, et jetés en masse dans les étroits espaces des navires, avec des vêtements très légers, [et] peu à peu entraînés dans des habitudes dépravées ». Pour le pape, cette émigration est d’autant plus un mal qu’elle pousse les catholiques dans un désert spirituel. Le déracinement représente alors un danger direct pour le salut des âmes.
Un demi-siècle plus tard, alors que l’Europe fracturée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale est traversée par de grands mouvements de migrations, Pie XII s’empare à son tour de la question migratoire à travers la Constitution apostolique Exsul familia de 1952. Sa première phrase, éminemment spirituelle, établit un parallèle que l’on retrouve depuis dans les différentes prises de parole pontificales : « La Sainte Famille émigrée de Nazareth, fuyant en Égypte, est l’archétype de toute famille de réfugiés [et] de tout migrant, étranger et réfugié qui, contraint par la crainte des persécutions ou par le besoin, est forcé de quitter sa terre natale, ses parents et ses proches bien-aimés, ses amis intimes, et de chercher une terre étrangère. » À la suite de Léon XIII, Pie XII réaffirme la nécessité d’un accompagnement spirituel des migrants.
Évangéliser les migrants
Alors que le libéralisme économique grandissant intensifie des flux migratoires, notamment de populations cherchant à travailler en Europe, Jean XXIII se saisit de la question dans son encyclique Pacem in Terris, publiée en 1963. Loin de prôner une libre-circulation absolue des personnes, il dessine une position qui ne changera pas fondamentalement dans les décennies à venir : si « tout homme […] a le droit […] de se rendre à l’étranger et de s’y fixer », Jean XXIII précise que ce droit s’exerce « moyennant des motifs valables ».