Les médias sont un moyen et non une fin : l’étymologie suggère d’ailleurs qu’ils constituent une médiation entre le citoyen et la société, entre la sphère privée et le bien commun. Historiquement, ils sont nés, en Occident, de la volonté des pouvoirs publics de faire connaître les édits royaux à leurs sujets. Puis, à partir du XVIIIe siècle, ils se sont mués en un formidable moyen de contestation de l’absolutisme royal et ont accompagné – voire déclenché – la plupart des révolutions des XVIIIe, XIXe et XXe siècles.
Dans ce contexte, l’Église ne pouvait rester insensible au sort de la presse écrite. C’est le pape Grégoire XVI qui aborde, pour la première fois, la question de la liberté de la presse dans son encyclique Mirari vos, publiée en 1832. À l’époque, l’Église est fortement ébranlée par la Révolution française qui s’est abattue sur elle, avec son cortège de persécutions. Malgré les restaurations monarchiques, une lame de fond révolutionnaire traverse et subvertit les sociétés européennes. Or, la presse accompagne souvent – quand elle ne les précède pas – les mouvements révolutionnaires : presse voltairienne tournant en ridicule les mystères chrétiens, caricatures obscènes – qui n’ont rien à envier à Charlie Hebdo –, libelles subversifs, etc.
Liberté de la presse ?
Dans ce contexte, Grégoire XVI condamne avec véhémence la liberté de la presse qu’il considère comme la « liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur ». À une époque marquée par le libéralisme philosophique – nous dirions aujourd’hui le relativisme –, le pape considère qu’une liberté totale de la presse favorise la confusion des esprits en mettant l’erreur sur le même plan que la vérité. À ceux, tels Montalembert, Lacordaire ou Lamennais, qui souhaitent mettre les grandes libertés modernes au profit de l’Église, le pape répond qu’un régime libéral laissant prospérer l’ivraie et le bon grain ferait beaucoup plus de mal que de bien.
L’encyclique suscite un tollé dans les milieux catholiques libéraux dont certaines figures – tel Lamennais – s’éloignent de l’Église. En réalité, cette encyclique s’inscrit dans une stratégie qui sera globalement celle de l’Église au XIXe siècle : s’appuyer sur des régimes chrétiens – ou du moins s’affichant comme tels – pour contenir la poussée révolutionnaire dont la presse est un des principaux relais. À l’époque, l’Église voit les États comme autant de leviers sur lesquels s’appuyer, notamment au moyen des concordats qu’elle a signés avec eux. Il s’agit donc de défendre les sociétés chrétiennes contre l’idéologie qui les pervertit.
La bascule intervient en France à la fin du XIXe siècle, quand la République anticléricale triomphe, mettant en œuvre toute une série de lois visant à laïciser l’État et la société. Dès lors que les pouvoirs publics s’installent dans une prétendue neutralité qui masque difficilement une idéologie contraire au christianisme, l’Église utilise les médias comme un moyen de contestation du pouvoir établi. C’est l’époque de la fondation de La Croix (1880) ou du Pèlerin (1873) qui atteignent des niveaux de diffusion très significatifs – 170 000 exemplaires de tirage pour La Croix en 1913. Petit à petit, l’Église comprend l’importance du support médiatique pour diffuser la Bonne Nouvelle et éduquer les masses dans des sociétés sécularisées.
Retrouvez l’article complet dans notre numéro spécial.
Pour aller plus loin :
- AU SEUIL DE L’HUMANITÉ
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies