Bernanos a-t-il encore quelque chose à dire aux chrétiens d’aujourd’hui ?
Frère Robert : Le message de Bernanos n’a rien perdu de son actualité ! L’écrivain éveille nos consciences endormies en nous mettant en garde contre les illusions du progrès, de la technique et du profit, contre la tentation contemporaine d’un christianisme consensuel. À nous, chrétiens du XXIe siècle, il rappelle que nous sommes des pèlerins en route vers le Royaume, des sentinelles de l’espérance, porteurs d’un formidable message auprès de nos frères et sœurs incroyants. Par la voix de son curé de Fenouille, il prédit : « L’heure viendra cependant où, dans un monde organisé pour le désespoir, prêcher l’espérance équivaudra tout juste à jeter un charbon enflammé au milieu d’un baril de poudre » (Monsieur Ouine).
L’espérance est-elle indispensable ? La foi ne suffit-elle pas ?
L’espérance est l’une des trois vertus théologales : elle est infuse par Dieu et atteint Dieu. Bernanos insiste sur ce caractère surnaturel et gratuit de l’espérance – comme du reste de la foi. Sans doute, la foi et l’espérance ont en commun d’avoir Dieu pour objet, mais elles diffèrent par leur sujet et par leur objet. La foi relève de l’intelligence, elle est adhésion à Dieu qui se révèle comme vérité ; l’espérance est dans la volonté, elle est tendance vers un Dieu qui nous octroie sa grâce, semence de la gloire. Pour le dire autrement, par l’espérance, je me porte vers ce Dieu que la foi me fait connaître. Toutefois, le dynamisme de la vie théologale est profondément unifié : les trois vertus théologales marchent ensemble comme trois sœurs, ainsi que l’affirme Charles Péguy.
Précisément, pour Péguy, l’espérance est « une petite fille ». Chez Bernanos, la petite fille semble avoir pris quelques rides…
Si Péguy nous présente l’espérance sous les traits juvéniles et candides d’une petite fille, il affirme également qu’espérer est plus difficile que croire ou aimer. Chez Bernanos, l’espérance apparaît sous une forme plus tourmentée, comme le fruit d’une victoire sur les illusions des faux espoirs et sur la tentation du désespoir : « La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté. » Néanmoins, elle est aussi chez lui une vertu de l’enfance. En somme, les deux aspects sont inséparables : « la douce espérance », « l’inflexible espérance » a tout ensemble la fraîcheur de l’enfant qui reçoit tout de la main de son Père du Ciel et la fermeté d’une vertu qui s’appuie sur Dieu pour toucher Dieu.
Espérer, est-ce « tenir bon quand même » ?
L’espérance est effectivement liée à la patience et à la persévérance. C’est dans l’épreuve que nous mesurons nos limites et tournons plus spontanément nos regards du côté de Dieu. « La tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance », résume saint Paul (Rm 5, 3-4). Réciproquement, l’espérance, parce qu’elle se fonde sur ce qui ne passe pas, sur ce qui ne vacille pas, nous permet de tenir bon dans les épreuves. Bernanos l’a exprimé en des termes saisissants : « Celui qui, un soir de désastre, piétiné par les lâches, désespérant de tout, brûle sa dernière cartouche en pleurant de rage, celui-là meurt, sans le savoir, en pleine effusion de l’espérance. L’espérance, c’est de faire face. »
Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.
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Bernanos, maître spirituel, Frère Robert, O.S.B., éd. Sainte-Madeleine, 339 pages, 17 €.