Bien que ce ne fut qu’en 1950 que la fête de l’Assomption fut définie par le pape Pie XII, les catholiques croient depuis l’époque patristique que « la Bienheureuse Vierge Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été emportée corps et âme au ciel ».
Divers facteurs ont toutefois empêché l’instauration officielle de cette fête.
Les œcuménistes la trouvent gênante dans le dialogue avec les protestants préoccupés par la « mariolâtrie ». Et même les orthodoxes qui pourraient être d’accord avec la substance du dogme n’apprécient souvent pas que le pape l’ait défini.
La haute mariologie se concentre sur le caractère unique de Marie. L’Assomption est le privilège spécial de celle qui fut conçue de manière immaculée (une autre pierre d’achoppement œcuménique). Le corps de la femme sans péché qui a porté le corps du Christ ne pouvait souffrir la corruption.
L’analphabétisme religieux général, associé à une forte insistance sur le droit canon, s’est concentré sur les catholiques assistant à la messe un jour d’obligation et moins sur les raisons pour lesquelles ce qui s’est passé a une signification pour les catholiques.
Et puis, en 1991, les évêques catholiques américains ont fait preuve d’une folie absolue en déclarant que le 15 août était un jour saint s’il ne tombait pas un samedi ou un lundi (une sorte de règle inversée du « lundi, jour férié fédéral »).
Quelqu’un se demande-t-il pourquoi, malgré le déclin général de la participation à la messe, la participation à la liturgie de l’Assomption est encore pire ?
Au vu de toutes ces considérations, envisageons une perspective théologique plus complète pour cette solennité.
L’Assomption n’est pas un dogme isolé, qu’il suffirait de croire comme s’il manquait de cohérence avec le reste de l’histoire du salut. C’est, en fait, une composante claire et substantielle de cette histoire du salut.
Saint Paul souligne que la résurrection du Christ – sa résurrection physique d’entre les morts dans un corps humain transformé mais réel – est essentielle, voire indispensable, à l’Évangile. L’apôtre des nations affirme que la résurrection – et non la passion et la mort de Jésus – est le test décisif pour le christianisme. Il ne mâche pas ses mots : « si le Christ n’est ressuscité d’entre les morts, votre foi est vaine. » (I Corinthiens 15:14).
Les premières pages de la Bible (Genèse 3:2) démontrent que la mort est la conséquence du péché. La mort n’est pas une punition arbitraire de Dieu pour le péché, comme s’il aurait pu en choisir une autre. C’est élémentaire : on ne peut pas se couper de la source de la vie – Dieu – sans mourir.
Si le péché est la maladie fondamentale de l’humanité et la mort sa conséquence, Jésus ne nous aurait pas entièrement rachetés de notre état déchu s’il n’était pas ressuscité des morts. Il ne pouvait pas vaincre le péché sans vaincre également les effets du péché, y compris la mort.
La résurrection est le premier moment d’un processus de restauration, de conquête sur le péché, le mal et la mort. C’est pourquoi saint Paul parle de la résurrection comme des « premiers fruits » (I Corinthiens 15:23), rappelant la tradition juive selon laquelle l’offrande des premiers fruits de la récolte dans le Temple englobait symboliquement toute la récolte.
C’est également la raison pour laquelle saint Paul parle de la résurrection des morts dans le contexte du jugement dernier. Pour lui, le Jugement dernier n’est pas simplement « la fin de l’histoire » ou une résurrection miraculeuse. C’est la conclusion logique du processus entamé le dimanche de Pâques : ce qui est arrivé aux « prémices » englobe maintenant « ceux qui lui appartiennent » (I Corinthiens 15:23), et ouvre la voie à la séparation décisive du bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13:39-43).
La conquête de la mort par le Christ est une défaite objective du mal, du péché et de la mort. Le Jugement dernier n’est que l’aboutissement de cette conquête : soit on fait partie du Royaume, soit on est condamné à la séparation éternelle.
Et cette séparation éternelle n’est pas un domaine séparé, un choix alternatif ou un usage différent de la liberté. L’enfer fait lui aussi partie du Royaume de Dieu, ne serait-ce que dans le sens où sa Justice – l’autre face de son Amour – ne peut pas simplement accepter l’image librement défigurée de Dieu en nous. La liberté ne nous place pas dans une zone neutre entre le bien et le mal.
Si la conquête du Christ sur le péché et la mort est un processus qui commence avec la Résurrection et dont l’aboutissement final est le Dernier Jour, alors nous, les êtres humains, faisons toujours partie de ce processus. Il en va de même pour l’Assomption, car Marie, conçue sans péché en vertu de la rédemption anticipée de son Fils, participe pleinement à sa victoire sur le péché et la mort. Étant donné son Immaculée Conception, il n’y a aucune raison pour qu’elle ne soit pas, corps et âme, au Ciel, avec son Fils, tout comme nous espérons l’être au Dernier Jour. Si Jésus est le « premier fruit », Marie est le « second fruit ».
Il est donc tout à fait approprié que cette solennité tombe en août, à peu près à mi-chemin entre la célébration de la résurrection par l’Église à Pâques et l’accent mis sur l’eschatologie au cours des dernières semaines du temps ordinaire, en novembre.
Enfin, le temps pascal comprend également la solennité de l’Ascension, qui affirme que Jésus est retourné corps et âme au ciel. Le christianisme affirme qu’un corps humain glorifié est assis à la droite du Père.
L’Assomption fait écho à l’Ascension. Marie, emportée au ciel corps et âme, affirme aussi la profession de foi chrétienne en la « résurrection du corps » et pas seulement en la vie éternelle de l’âme.
Elle affirme le corps comme partie constitutive de la personne humaine, qui partage sa béatitude ou sa damnation parce qu’il participe aux choix moraux qui déterminent son destin. Contrairement au gnosticisme moderne – la prolifération sauvage d’ « identités » en contradiction avec l’incarnation humaine – le christianisme professe l’inséparabilité du corps et de l’âme dans la personne.
Compte tenu de son importance en tant qu’incarnation de ce qui s’est produit « pour nous et notre salut », nous avons de bonnes raisons de célébrer l’Assomption en ce jour par ailleurs ordinaire de l’été.